lundi 28 mars 2016

François Taillandier - Le cas Gentile

Sait-on à quoi tient l'équilibre intérieur des hommes ?

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Il est rare que je sente une telle paix après un roman. Paix qui me fait désigner ce roman comme une œuvre importante de notre modernité. (mais surtout pour moi avant tout...)
Nous suivons la crise existentielle d'un pompier italien. Il s'appelle Gentile, nous ne saurons jamais son prénom. Il vient de détruire à coup de barre de fer des panneaux publicitaires dans la gare de sa ville représentant des scènes de flirt entre un homme et une femme pour des habits ou du parfum. Il est mis à pied avec beaucoup de délicatesse par les pompiers qui souhaitent l'aider et craignent la contagion. Oui, même les pompiers vivent de plus en plus l'ultra moderne solitude.
Mais un an plus tôt, il fut connu pour un autre évènement. C'est lui qui sauva la Santissima Tela. Relique d'un tissu ayant pu couvrir le Christ mort et objet mystérieux (tout comme cet incendie qui faillit le détruire.)

Un désespoir moderne

Nous suivons ce pompier divorcé, dans sa solitude de mise à pied. Nous suivons aussi les trois personnes qui sont amenées à s'intéresser à son cas. Un prêtre, une journaliste et un syndicaliste.
Nous le suivons aussi par le regard de ces trois personnes qui s'intéressent vraiment à lui.
Nous suivons ces pensées ou son ruminement, son malaise, son tâtonnement. Il n'y arrive pas, à mettre des mots sur ce qu'il vit, sur ses fuites, sur son malheur, ses mauvaises rencontres féminines. Son désespoir.
Je désexiste. Je disparais, je suis rien. Je suis une boussole démagnétisé, je ne suis pas ce que les autres attendaient de moi. Les rivaux sont partout et me montrent ma défaite. Les femmes montrent que je ne suis pas ce que je devrais être. Je ne peux plus leur parler. Je ne suis plus présent. Je ne suis plus à la hauteur. Les photos m’agressent.
Afficher l'image d'origineNotre pompier vit une grave crise identitaire et de reconnaissance. Ses dernières expériences lui font entrevoir le vide de sa vie, la déprime, le manque absolue de lui dans toutes ses relations, ses idées et actions.
L'homme est une atlante, membre d'un ordre qu'il ne comprend plus et où il se sent d'autant plus inutile, qu'il conçoit cet ordre comme une comédie où il a tout à perdre. Sacrifice méprisé, personne ne l'attendait et il avait existé par hasard.

Que pensent les trois personnes le suivant avec attention ? La femme qui voit la crise de l'homme et qui se demande comment revivre en paix avec l'autre sexe, le syndicaliste qui voit la crise de la communauté et du travail et le prêtre, médiateur et homme de prière.
L'écrivain nous montre aussi un chemin de la contagion de la crise. Le couple, la communauté de travail et la communauté de prière. Tout est en crise. Et ceux là, non indifférents, sont au chevet de l'homme.


Une conversion moderne.
 Pourtant notre Gentile se réveillera de sa chambre d’hôpital, il ira sur les collines environnant la ville. Il pense à son malheur et change de regard sur lui. Son malheur était celui d'un monstre, sa tristesse un malentendu sur lui-même et ses désirs. Il voulait être tout. Tout son malheur résidait à l'incompatibilité de son désir d'absolu de lui-même et la réalité. 
Néro (personnage de méchant cruel d'une mauvaise bande dessinée) était son compagnon, le démoralisateur, l'accusateur, le complice de son désir de toute puissance, le modèle inatteignable. Modèle des désirs que l'on ne discute plus. Il habitue "les consciences à l'incertitude, à l'instabilité, à l'impermanence de tout, au caractère aléatoire des changements, à la dissociation de l'apparence et du sens, afin que vacille le moral de l'humanité."

Cette remise en cause est l'opportunité d'une reprise de liberté, de décision, d'éveil, d'admiration, de simplicité.

Parallèlement le prêtre qui suit Gentile a ses mots: La messe annonce une identité : vous êtes enfants de Dieu.

La conversion de Gentile (qui est probablement la conversion de l'auteur ou celle que vit l'auteur quand il écrit le livre :  voir cet interview : En effet, les préoccupations spirituelles traversent mes romans de différentes façons… Je pense d’ailleurs que Le cas Gentile est le roman d’une conversion, de ma (re)conversion – et je ne le savais pas quand je l’écrivais.), la conversion de Gentile, donc, est la conversion possible de l'homme moderne qui une fois qu'il est pris sur le chemin d'une modernité qui est destruction d'ordre malgré elle, ne peut plus attendre d'autre justification que celle du Seigneur. Justification non pas lourde et méchante comme le monde aime mais discrète et miséricordieuse comme l'est la représentation de la Santissima Tela.
Je suis une question comme l'est cette toile et comme Jésus se demande à ses disciples. "Et pour vous qui suis je ?"

Le chemin du Gentile est aussi le chemin du Christ, Un chemin de croix qui mène vers une résurrection. La rencontre du Christ par ce saint voile va produire ce chemin qui est celui de notre époque. Un chemin de croix qui appelle sa résurrection. Crise et résurrection.


Un livre et une prière pour notre temps  

Je suis marqué par cette affirmation de René Girard : Il existe un canon des chefs d’œuvre comme il existe un canon biblique.
J'aimerais expliquer pourquoi ce livre humble et court fait partie de ce canon. 

Le canon qu'évoquait Girard parle de ces romans qui révèle la dimension mimétique de l'homme et des sociétés. Ces livres témoignent aussi de l'époque en ceci où elle à maille à partir avec cette propre révélation. Nous sommes loin de Don Quichotte, nous sommes plus près de Dostoievski mais Taillandier tente de témoigner de l'époque suivante, de la crise interne de l'individu, du mouvement où la médiation interne rivalitaire s'inscrit désormais au tréfonds de l'homme. Elle est au niveau du tous contre tous, réfugié en nous même.
Le salut ne peut que se retrouver en celui qui a provoqué la remise en cause profonde de l'homme.

L'appel de la vérité se fait tragique en chaque homme et société. 
Le mal est comme un sucre qui se diffuse dans un verre d'eau.

Et au milieu partout dans le roman, l'image du saint suaire est présente. Ce livre en fait une méditation profonde, lieu de la rencontre entre Divin et humain. A rebrousse poil de toutes les représentations mensongères, idolâtriques et "neronienne" de l'homme.  
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Replongeons dans ce voile, dans cette question, et imitons le. Il est allé au bout de la crise et nous conduit vers la résurrection.
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Avant le récit de la conversion de Gentile, nous entendons le prêtre dire une prière devant l'image. Cette prière est la notre :
Seigneur, murmura-t-il, fais que ton serviteur Gentile, retrouve le chemin qu'il a perdu. Fais que cette femme sache l'aimer, car c'est, je crois, ce qu'elle désire. Donne leur la paix en ce monde, et conduis les vers ta lumière. Toi seul connais, derrière tes yeux clos, l'autre versant de cette existence. Mais un jour, viendra la résurrection de la chair, et tu nous rendras ton regard. Alors, comme l'a dit Jean, ton apôtre, le livre de la vie sera ouvert, nous saurons qui nous sommes et ce que nous vivons. Nous espérons ce jour, Seigneur, nous attendons qu'il vienne. Ainsi soit-il, au nom du Père, du Fils et du saint Esprit !"
 
Amen....


plus bas, un long recueil de citations....
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