mercredi 4 juin 2014

le travail invisible de Pierre Yves Gomez

J'ai rencontré, il y peu, le travail de Pierre-Yves Gomez, je suis marqué par le calme de son écriture en comparaison de la véhémence de ses horizons. Clarté, Révolte et profonde paix émanent de sa voix et de ses écrits. Lucidité et espérance.
Vous trouverez ci dessous un résumé de "Le travail invisible" paru en 2013.
Voici sinon, un article et une bonne interview audio.


Gomez veut expliquer la différence entre la réalité du travail et l'illusion de l'économie financiarisée. Après les miracles de la croissance, nous avons perdu le sens du travail humain comme source de la création de la valeur économique. C'est cet escamotage et cette disparition qui explique le mieux notre crise économique selon notre auteur.


I Diagnostic
A Mouvement économique
Gomez explique qu'à force de vouloir créer un Athènes sans esclave, nous avons créé une société de rente illusoire, défigurant la notion de travail car ignorant son origine, il en vient une dramatique auto exploitation, le rentier et le travailleur étant le même.
Quelle est l'origine de la situation ?
Il y a d'abord des petites lois, semble-t-il innocentes, l'indépendance des fonds de pension d'avec les entreprises, libéralisation des opérations du NYSE, ces deux décisions changent radicalement l'orientation de l'épargne, naissance de l'industrie financière moderne, explosion des perspectives d'épargne. Paradoxalement, cette afflux d'épargne géante irrigue les plus grandes entreprises, on veut peu de risques et l'argent appelle l'argent. On fabrique des idoles pour leur amener de la croissance.
Mais qu'avons nous fait de l'épargne de ce nouvel age d'or ? Qui sait vraiment, car il n'y a pas de grand allocataire, le "marché" le fait très bien. Marché, grand gestionnaire indépendant, boite noire pure et parfaite ?
Finalement pas vraiment, Keynes a montré qu'elle est un jeu de miroir (spéculum)
la décision du marché se fait par rapport aux autres et à ce que l'on pense être leurs décision.

L'industrie financière produit mécaniquement par imitation des comportements collectifs spontanés. L'argent est dirigé vers les entreprises jugées comme les plus prometteuses. L'entreprise doit séduire, pas seulement les bénéficiaires mais "plus que les autres". Comparer, anticiper le mimétisme du concours de beauté qui se déroule des deux cotés. Les concepts deviennent mimétiques et se transforment en croyance.(technologie, penser global, innovation etc..)

"Finalement comme en Espagne de la Renaissance, l'afflux d'or a produit de grandes armadas guerrières."

Donc, l'allocation des ressources est du à un jeu de miroir double, on s’intéresse de moins en moins aux entreprises mais à l'attente vis à vis de celle là. Le rêve de la rente conduit à une situation ou l'échange devient plus important que ce qui est échangé et plonge les entreprises dans une guerre économique qui conduit le monde vers un grand élan de l'innovation, arme fatale de la guerre et conduisant les entreprises à devoir courir deux fois plus vite que ce que tout le monde essaie de faire. Toujours plus de vitesse, de consultant, de court terme, de gros mangeant des petits, d’obsolescence de produits qui ne seront jamais profitables...
Cette situation s'accompagne aussi du délire des plus riches, l'explosion des rémunérations n'est que le signe d'un nouveau pouvoir, élite financière traversant les marchés, maitrise technique et mimétique, abstraction et vitesse, ils ont imposé des repères et créé des barrières.

Au départ, la finance est utile, elle permet le paiement des ressources avant la production. La financiarisation, c'est le moment où la finance ne devient plus un moyen mais un enjeu, elle tient son pouvoir de l'idéal de rente généralisée. Les gestionnaires donnent le "la" de la rentabilité. La promesse faite aux rentiers met la pression sur les entreprises mais l'absence longue de profits met le système en danger. Les fonds exigent une rentabilité a priori. Ne nous braquons pas trop vite sur une lutte actionnaires-travailleurs, ce sont pratiquement les mêmes. La vraie distinction est entre l'oligarchie et les autres.

Le propre du capitalisme n'est pas l'économie de marché mais l'accumulation du capital. L'administration et le management organise cela pour l'oligarchie avec l'aide de la SI et du contrôle de gestion. La financiarisation ne tombe pas du ciel, oligarchie + gestion + tendance peccamineuse du capitalisme.

B Conséquence sur le travail : le travail invisible
Bref on assimile le travail à sa contribution au profit. La bureaucratie devient le système rationnelle du contrôle par l'économie. Le mouvement s'est fait avec l'abstraction de la compréhension de l'activité et de la réalité, l'informatique, maitrise du temps et compétence spéculative, sabir d'initié, le manager veut et croit tout contrôler au doigt et à l'oeil, le cadre intermédiaire doit appliquer la logique financière dans le travail. Le mépris inter-classes saupoudre le tout. Les entreprises sont prises au piège du mimétisme, adaptation ou mourir.
Mais pourquoi, la roue de l'économie tourne-t-elle encore ? 

-L'ignorance entretien la confiance d'un contrôle.
-Prospérité remarquable pendant trente ans, tout critique est un pisse-vinaigre !
-Attrait de l'esprit de rente (instinct de survie, sécurité notamment)
-La consommation de soi maintenant l'adhésion au système ( Citation du daily reckonning : Toute l'économie mondiale dépend du consommateur ; s'il cesse de dépenser de l'argent qu'il n'a pas pour des choses dont il n'a pas besoin, nous courrons à notre perte)

Il faut surtout de la confiance, la dette publique est exposée sur la bonne santé de l'économie, les prix réels deviennent ceux du marché et de la spéculation. La croissance éco est entrainée par la croissance de la dette, gagée sur la croissance des entreprises qui assurent la croissance éco. Jeu de miroir infini. Plus on avance plus la roue tourne. Gomez compare alors l'économie financiarisée avec la roue de l'écureuil. Les promesses de rente aux actionnaires ont été récupérées par les prolétaires. Ceux ci cherchent à obtenir une rente perpétuelle sur les entreprises qui la paient en exploitant leur travail. Et tourne la roue. On s'efforce de vivre au dépens de tous...

Il arrive nécessairement la crise, il faut la comprendre dans la vision globale de la rente, il faut diagnostiquer l'évidement général de sens et l'exploitation du tous par tous. De plus l'élite n' a pas réagi car perdu dans sa dé réalité (mondialisation abstraite contre monde), décision prises dans concept déréalisant, les mêmes recettes connues deviennent les problèmes en question, l'élite ne connait pas la sortie de l'économie du miroir.
Regardons le monde réel et observons le travail
Le mot actuel est né de l'industrialisation, outil de la politique libérale et individuelle. Est devenu travail seulement ce qui l'est reconnu par l'entreprise et l'administration. Le travail est devenu une marchandise comme une autre. Cela a souvent conduit vers moins de précarité et des alliages menant a de grandes prospérités.

De plus le travail est perçu comme une malédiction, peine à éviter. C'est la vision doloriste du travail. Vision qui va à l'encontre de la conception biblique quand on la lit bien où l'homme participe à la création. Le péché lui a retiré son dessein, l'homme devient concentré sur son effort que sur sa responsabilité. Le paradis n'est pas représenté comme celui des oisifs rentiers ?
Le travail n'est qu'un mauvais moment pour une perspective de loisirs. En altérant le travail, on peut y altérer l'homme.

Gomez compare les pensées de Simone Weil et de Hanna Arendt. Il commence à voir ce qui les distinguent, Arendt met en valeur le travail comme lutte nécessaire contre la nature et l’œuvre, acte du génie humain alors que Weil ne met aucune distinction, l'homme est corps et esprit incarné, le travail est la source d'un engagement, il est humanisant s'il est incarné. Il ne faut pas dégager du temps libre pour le travail mais il faut créer les conditions d'un travail authentique, un travail intelligent avec conscience de lui même.  Est asservi, celui qui ne sait pas pour quoi ni pour qui il travaille et qui ne peut ressentir aucune fierté de l'ouvrage qu'il accomplit. Le temps libre est au service du travail. Travailler parce qu'il le faut bien devient un esclavage surtout si cela est pour l'économie de la rente. Il faut désormais comprendre le travail comme la personne au travail et le mettre au centre de la société politique pour éviter de ne rester qu'avec la douleur, la rente et les vacances.


II Analyse par les trois sources de la création de valeur du travail
Gomez rappelle quelques bases pour comprendre le travail.
Le travail est toujours une expérience objective, subjective et collective.
Subjective car elle transforme le sujet, elle créé une valeur économique car personne valorisée par la reconnaissance.
Objective car le travail produit quelque chose inscrit dans la réalité commune, ce n'est pas une autosatisfaction narcissique, cela se traduit par un résultat objectif traduit par la communauté.
Collectif car le travail tisse des liens et il est bon d'appartenir à une communauté.

Le travail réel ? Il est vivant, pénible, fatiguant mais stimulant et enrichissant., source de reconnaissance, objectivée par la performance et collective par solidarité

Après avoir délimité ces trois dimensions du travail, Gomez affirme que le travail moderne souffre d'une hypertrophie de sa dimension objective. Le travailleur vaut ce qu'il réalise dans le système rationalisé. Le travailleur est une variable d'ajustement, affaiblissement du faire ensemble, stratégie personnelle. La crise s'annonçait par l'essoufflement du travail. Le manager est mangé aussi par l'hypertrophie d'objectivité.
Perte du réel, écran technologique et fuite vers toujours plus de même chose. (innovation, compétition, rentabilité, abstractions...) Parler de la crise financière, c'est parler de ce qui nous démange mais le mal c'est la dévalorisation du travail. L'économie de rente a rendu le travail invisible et les élites aveugles. Elles se désespèrent du cout du travail alors que c'est la philosophie du travail qui pêche.


III Quelques solutions....

-Reconnaitre la gratuité
-Soigner le travail subjectif (personne ne se lève le matin pour une marge opérationnelle)
-Rechercher des élites responsables du bien commun, qui donnent les directions. 
-Retrouver le sens de ce que nous faisons.
-Savoir être fier des autres
-Stopper le désir névrotique de tout contrôler.
-Gratuité, sens, fierté, leader sensible au bien commun à accueillir 
...et tenter de définanciariser l'économie.

Comment faire pour définanciariser l'entreprise ?
-Redécouvrir le travail humain comme vraie source, le travailleur doit s'extraire des normes et des jeux de miroirs spéculatifs
-La subsidiarité : accepter que les travailleurs ne sont pas des idiots. La vraie délégation du pouvoir se fait du bas vers le haut (Saint Thomas d'Aquin : corriger si il y a du désordre, suppléer si il y a un manque, parfaire si quelque chose de meilleur peut être fait. S'interdire de faire ce qu'un échelon inférieure pourrait faire.
-Co-détermination, veille et supervision des décisions essentielles (et éviter la sur représentation d'oligarques dans les conseil d'administration)

Conclusion
L'économie est morte à force d'abstraction. Le travail est au centre du malaise, prenons de nouveau le travailleur en considération et arrêtons les rêves d'une Athènes sans esclave, refusons aussi tout dolorisme. Le travail est il une malédiction ou un processus d'hominisation ???
Le travailleur est il un paria servile ou un homme libre et actif ?
Il est urgent d'organiser de nouvelles solidarités alors que les retraites ne sont que des illusions. Il est bon qu'il y ait des rentes mais arrêtons de baser nos vies dessus !!

La crise nous convoque ! L'économie du travail vivant reviendra!



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