jeudi 26 juin 2014

La science, une théologie qui s'ignore - La marque du sacré 2nde partie

Et ici, la somme des chapitres...
Dans ce chapitre, Dupuy cherche la trace du sacré dans la science.
La science n'est pas neutre. (J'invite les lecteurs aussi à ce texte de Hadjadj et à cette conférence de Levy-Leblond cité dans le livre) Elle n'est pas libre de valeurs. Dupuy la comprend comme l'accomplissement de la métaphysique occidentale. Ce qu'on appelle le désenchantement par la science n'a son origine que par la disparition de l'appréhension magique du monde et relève paradoxalement de l'acte de foi. La science peut elle vraiment se rendre autonome de la question du sens du monde ?



Dupuy accuse Lecourt qui pense que les catastrophistes (dont ferait partie Dupuy) et les techno prophêtes sont les deux faces d'une même pièce. Faux. On peut aimer la science et croire qu'elle nous conduit vers l'abîme, il faut sentir la logique, la marque du sacré de la science. Comme tout aujourd'hui, la science est marquée par sa contradiction, elle se pense comme universelle et aboutissement de l'humanité après tâtonnements mais le monde et les hommes peuvent ils supporter ces développements ? Ne faut il plus choisir entre une exigence d'éthique et le mode de développement que le monde s'est donné.

Est ce devant les générations futures que nous devons y penser ? Dans le cœur de la pensée progressiste, les générations antérieures se sacrifiaient pour le bonheur plein et entier des générations à venir, or désormais nous voulons éviter la catastrophe. Mais ne pensons pas à des générations futures, pensons à nous même et à notre responsabilité, à notre regard vers l'avenir. C'est ce dont nous avons besoin.

Ensuite Dupuy s'arrète sur les NBIC, acronyme parlant des nanotechnologies, biotechnologies, informatique et sciences cognitives. Il cherche à expliquer en quoi derrière leur neutralité elles portent avec elle une modification du regard de l'homme sur lui-même. Cette modification est d'autant plus difficile à remettre en cause qu'elle est au cœur des jeux de rivalités et d'économie des grandes puissances.

Celles ci changent le regard de l'homme sur
  • La nature. Celle ci devient nature artificielle, comprise et réécrite dans le sens où l'esprit de l'homme peut et doit en être le créateur. Il n'y a plus collaboration mais remplacement pour faire mieux. Le monisme matérialiste est devenu spiritualiste.
  • La connaissance. Comme nous pouvons connaître ce que nous avons créé (Vico). La nature ne peut plus être un donné extérieur à soi. Savoir et pensée peuvent se séparer....
  • L'éthique. La nature étant un artefact, on peut agir sur elle à loisir, il devient difficile de fonder une éthique exigeante. Qui dit éthique, dit triomphe du sujet. Mais que devient ce triomphe si l'homme et la nature sont machines computationnelles. Au nom de quoi l'homme exerce t il son pouvoir ? Au nom d'un mécanisme aveugle ? De quel sens ? Vide ! La connaissance d'une nature devenue objet du faire humain se traduit par la négation et de la nature et de la connaissance. Les pro NBIC voient leurs contradicteurs comme des judéo-chrétiens qui les empêchent de devenir comme leur Dieu, cela va en contradiction avec la vision judéo-chrétienne de l'homme co-créateur mais correspond au christianisme perverti où  la science a pris le relai de la désacralisation du monde et l'élimination progressive de tous les tabous. Dans une société qui rêve de fabriquer la nature selon ses désirs et ses besoins, l'idée d’extériorité perd tous son sens. Or il n'y a pas  de société humaine libre qui ne repose sur principe d'autolimitation. C'est le problème éthique de notre monde moderne et de sa sortie du sacré....
  • La métaphysique. Les métaphores mécanistes permettent des progrès technique et imposent sa manière de voir. Le naturel non vivant, le vivant et l'artefact fusionnent, indistinction et fin de la croyance en la brisure entre ces catégories. Souvent ces mêmes scientifiques le font avec un air d'humilité. Dupuy voit dans cette humilité le ressentiment du bourreau se prenant pour une victime. C'est l'autoroute de la violence.
  • L'anthropologie. Nous voulons échanger le donné contre une œuvre de nos mains. La mort et la souffrance sont devenus des problèmes à résoudre. L'ethique perd tout si elle ne fait que juger le bien et le mal, elle doit poser les questions dérangeantes sur la nature humaine. Revenons avec la citation d'Illich (plus bas) vers des retrouvailles avec la santé structurelle. Tout homme connaitra ses limites humaines, les traditions savaient les embrasser. Lorsque la finitude de la condition humaine est perçue comme aliénation et non comme source de sens, on perd quelque chose d'infiniment précieux en échange de la poursuite d'un rêve puéril. 

Enfin, Dupuy nous invite à voir chez les transhumanistes, des idolâtres de l'homme.


Nous vivons une fuite en avant globale où la technique n'est que le seul rempart de la technique. Nous vivons entre promesse folle et risque paniquant qui se termine en relations publiques. La science ne peut plus échapper à sa responsabilité, elle doit gagner en réflexivité et en faisant participer le plus grand nombre à ses questions. Arrêtons de créer des spécialistes aussi naïfs sur la gangue idéologique et métaphysiques où ils ne se voient pas patauger.
Et puis surtout relisons sans cesse cette invitation illichienne citée par Dupuy : Il ne m'apparait pas que les états doivent avoir une politique de santé. Ce dont les gens ont besoin, c'est le courage de regarder en face certaines vérités. Nous n'éliminerons jamais la douleur, nous ne guérirons jamais toutes les affections, il est certain que nous mourrons. La quête de la santé peut être source de morbidité. Il n'y a pas de solutions techniques et scientifiques.. Il y a l'obligation quotidienne d'accepter la contingence et la fragilité de la condition humaine. Il convient de fixer des limites raisonnées aux soins de santé classiques. L'urgence s'impose de définir les devoirs qui nous incombent en tant qu'individus, ceux qui reviennent à notre communauté, et ceux que nous laissons à l'Etat. Oui, nous avons mal, nous tombons malade, nous mourrons, mais il est également vrai que nous espérons, nous rions, nous célébrons ; nous connaissons les joies de prendre soin les uns des autres ; souvent nous nous rétablissons et guérissons par divers moyens. Si nous supprimons l'expérience du mal, nous supprimerons du même coup l'expérience du bien. J'invite chacun à détourner son regard et ses pensées de la poursuite de la santé, et à cultiver l'art de vivre. Et, tout aussi importants aujourd'hui, l'art de souffrir et l'art de mourir.

 Source

dimanche 22 juin 2014

Méconnaissance - Les origines de la culture René Girard

Petite citation des origines de la culture montrant bien la question de la "méconnaissance" humaine sur ses leviers "sacrificiels", l'origine de la révélation et les risques du déploiement de celle ci.

Les origines de la culture p246 édition hachette pluriel

Ne pensez vous pas que cette méconnaissance actuelle est en quelque sorte un mécanisme de défense, au sens freudien ? Une dénégation qui voile une autocritique trop radicale de l'individu et de la société ? Ce qui, pour la société primitive, était une méconnaissance collective se mue en mécanisme de défense pour l'individu moderne : les erreurs de connaissance, et l'échec qui en découle, constituent des barrières psychologiques qui empêchent l'autocritique ouverte, et par là même l'effondrement de l'identité et des convictions individuelles.


Il y  a un parfait exemple de ce phénomène chez Proust : la grand mère du narrateur montre une certaine réticence à accepter que Swann lui soit socialement supérieur. Elle refuse de voir les faits qui détruiraient la foi et la croyance qu'elle a d'être hiérarchiquement au même niveau que Swann. Elle les rejette en se moquant de cet ami. Et cela se répète tellement souvent que l'on pourrait en faire un modèle anthropologique ! Je pense en effet que vous avez raison : on tient tellement à préserver des idées comme l'individualisme et l'autonomie du désir ! Et c'est la raison pour laquelle les mots "révélation" et "conversion" sont important pour la notion de mimétisme. 
On va vers l'effondrement de la pseudo-science dix-neuviémiste, tout entière fondée sur l'expulsion violente du religieux. Le véritable enjeu, c'est le christianisme, bien entendu, et il est si formidable que les résistances sont acharnées. On va bientôt s'apercevoir que tout ce qu'il y a de vrai dans la philosophie des Lumières, dans la science du XIXème siècle, qui est une critique imparfaite encore du religieux sacrificiel, tout cela vient aussi d'un christianisme pas encore complètement assimilé, mais qui, du fait même qu'il est de mieux en mieux compris, se retourne contre le religieux "sacrificiel" et contre les déformations et adaptations sacrificielles du christianisme, toujours encore systématiquement confondues avec la vérité de celui-ci. Le christianisme est donc aujourd'hui le bouc émissaire de... sa propre révélation.

dimanche 15 juin 2014

La marque du sacré de Jean pierre Dupuy 1ere partie

Et ici, la somme des chapitres...


Je souhaiterais commencer par ce poste mon suivi de lecture du livre incroyable qu'est La marque du sacré. (fiche de lecture pas mauvaise ici)
Résumé et autobiographie intellectuelle que nous offre Jean-Pierre Dupuy. Grâce à René Girard, il nous invite à regarder les traces du sacré qui existent dans notre monde moderne. Cernons l'auto-transcendance là où elle est et soyons des êtres responsables.

Sur ce post, je vous propose une lecture de l'intro et du premier chapitre. Je compte encore faire 6 notes sur les six autres chapitres.



En s'enlevant les dieux, les sociétés humaines se sont seulement enlevés les extériorités par lesquelles elles agissaient, désormais les hommes sont ainsi que le baron de Münchhausen se tirant hors du marais en se tirant par les lanières de ses bottes (ou par sa natte).

La raison garde la trace indélébile de son enracinement originel dans l'expérience religieuse. La science du religieux et de l'homme ne font qu'un. 
Dupuy nous demande de retenir une chose du sacré : L'ordre social contient la violence dans les deux sens du terme. Le mal se met à distance de lui même pour se contrôler et prendre la figure du bien. La panique est le moment où on ne fait plus la différence entre ces deux figures du mal. (Comme le sacrifice/le meurtre ou argent/crédit)

Or nous vivons un temps d'indifférenciation depuis 2008, quelle distinction entre le poison économique  et le médicament proposé ? La régulation n'a plus de sens. Nous sommes à la recherche d'un point extérieur. La loi  ? Comment peut elle être extérieur alors que nous l'avons créé. Tout bien de nouveau recherché ressemble au mal que nous voulons réfréner. 
La richesse n'est elle pas ce qui est désiré par celui dont nous recherchons le regard sur nous ? Nous sommes en pleines confusion des contraires mais ces crises sont programmés comme celles qui sont programmées  dans les phases spéculatives mais les rationalistes se rassurent en désignant des coupables, ils refusent de voir le trou noir où s'abolissent les différences et où s'engendrent par auto transcendance les sociétés humaines, or, il faut désormais penser ce trou !

Or le sacré est le mouvement du Satan expulsant Satan, de l’auto-extériorisation de la violence des hommes sous forme de rites pratiques et réussit à ce contenir elle-même. Elle est la création de la différence entre bonne et mauvaise violence. La modernité est remise en cause du sacré. Et si ces deux violences n'en faisait qu'une ???? 
(Question subsidiaire : Peut il y avoir savoir de l'auto-transcendance sans transcendance véritable ? Autrement posé Dieu existe ou non ? Girard répond oui, Dupuy non... Mais ce n'est pas le sujet du livre...)
Le sacré contient la violence dans les deux sens du termes. (ex de la bombe atomique)

Il en résulte que l'impuissance des rationalismes contemporains à appréhender la forme de l'auto transcendance ne fait qu'une avec la dénégation qui les constitue : le refus d'admettre que les rationalités qu'ils mobilisent s'enracinent dans l'expérience du sacré.
C'est donc l'objectif du livre retrouver le sacré là où il n'y a que le voile de la rationalité à se montrer. L'humanité se fait tracter  par une vision de l'avenir qu'il a projeté en avant de lui-même.

Or dorénavant, la perspective de l'apocalypse est plus que jamais nécessaire pour saisir le monde et ses changements




Chapitre 1 penser au plus près de l'apocalypse


Le monde va à la catastrophe. Le mal est en nous et même dans nos actions et dans ses conséquences inattendues. Notre développement basée sur la technique nous conduit à la mort. Nos seules solutions ne répètent que le "plus de" dont nous ne cessons mourir. Les prophètes de malheur ne sont pas croyables. Notre monde économique ne voit que l'avenir sous le prisme de l'évolution des prix et des raretés futures, nous ne voyons plus les autres risques. Le risque n'est pas visible pour une communauté tant qu'elle y voit des solutions.
Dupuy explique son concept de catastrophisme éclairé, ne parlons plus de moral aux hommes pour la protection écologique, cela ne conduit qu'à l'écolo fascisme, or nous ne voulons pas survivre pour survivre ni sacrifier notre autonomie morale. La crise doit être au contraire le lieu de la reconquête du sens.
Nous devons arrêter de croire à la neutralité technique, elle participe, elle aussi à l'action des hommes et au déclenchement de processus non voulu et non choisi. Arrêtons de vouloir nous sauver de la technique par la technique. Exemple d'apprenti sorcier par dessein avec le désir de perte de contrôle.



La crise que nous vivons est apocalyptique car elle révèle la violence des hommes. Dupuy cite l'évangile de Marc (13) il montre comment Jésus démystifie l'imagerie apocalyptique (tsunami et tours écrasées). La révélation n'est pas la fin pour le chrétien, elle est toujours au centre de l'histoire avec la Passion, mais la fin appartient à l'éternité, nous pourrons en parler seulement au passé antérieur. Tout aura toujours déjà pris un sens. Veillons à ne pas être fasciné. Projetons nous dans l'après catastrophe et voyons les destins que nous pouvons écarter.

Car finalement, Dupuy l'affirme, seule la religion nous permet de bien mettre des mots sur notre monde moderne, Dupuy propose un voyage entre Ivan Illich et René Girard deux philosophes qu'il a bien connus (voir ici aussi pour plus de précision), ces deux hommes tombent sur un désaccord le monde moderne est travaillé par des idées chrétiennes avec un message corrompu. Dupuy rappelle le concept de contre productivité, à partir d'un moment pivot, les institutions génèrent l'inverse de ce pour quoi elles sont faites (les télécommunications rendent sourds et muets, la médecine détruit la santé, etc...). Dupuy pose la question, comment n'avons nous pas encore compris que les biotechnologies sont des promesses auto destructives de la santé physique et intime de l'homme. Nous ne donnons plus sens à la vie à la mort, à la finitude humaine, nous sommes des technocrates de nous mêmes. Nous ne sommes pas un problème en attente de solution technique. Or le mal, ici est invisible. Méfions nous seulement des cléricatures et des industriels du bien, de ceux qui travaillent aux salut des autres hommes malgré eux. Illich nous prévient, le mal s'autonomise par rapport aux intentions de ceux qui le commettent. 

Girard, lui est l'insensé qui dit que l'histoire a un sens, la science de l'homme est possible et c'est la religion qui le permet et le Christianisme possède le savoir sur le monde humain. Le geste humain est de faire des dieux en faisant des victimes, la foule en délire fabrique du sacré et de la transcendance. Mythes récit des persécuteurs et évangiles de la victime.
Et ensuite le monde moderne arrive, "faire toujours plus de victime ou renoncer au mécanisme victimaire" tel est son dilemme. Or dans un système en globalisation, les violents se ressemblent à force de vouloir se différencier, la globalisation est d'abord un événement religieux. (pour ces intuitions voir la violence révélée de Gil Bailie)
La dernière partie du chapitre rappelle le chemin intellectuel de Dupuy, il commence à faire un parallèle entre Einstein et Girard, il déplore la disparition de l'honnête homme, les sciences dures, invitation à revoir le système universitaire qui fait des spécialistes sans mémoire de la longue distance. Final contre Rawles et la perception d'une humanité de "zombies raisonnables étrangers au tragique de l'existence". Ne pas voir le mal est toujours s'en rendre complice. 
Dupuy conclut finalement, tout mon chemin intellectuel fut de retrouver la marque du sacré !!


dimanche 8 juin 2014

Le Salut du Christ par Girard


Encore un extrait de quand ces choses commenceront après ces deux premiers. ici et .
Ce nouvel extrait tente de montrer en quoi la théorie girardienne complète le dogme catholique et rend honneur au Saint Esprit.
Pour développer cette question, lire "Avons nous besoin d'un bouc émissaire" de Raymund Schwager




Quand ces choses commenceront Page 157 

Question : Pourquoi fallait il que le Christ meure ? C'est le dernier sacrifié, non coupable, avant l'abandon des systèmes sacrificiels ?




Remarquez, les autres victimes antérieures n'étaient pas coupable non plus... Le Christ meurt parce qu'il refuse de se soumettre à la loi de la violence, il la dénonce dans tous ses propos, et les hommes, en refusant sa Révélation, forcément retournent leur violence contre lui. Ils font jouer contre lui la loi du mimétisme violent. Ils font de lui un bouc-émissaire de plus. C'est le soubassement anthropologique de la Passion, et ce n'est rien de plus. S'il n'y avait que de l'humain dans la Passion, la voix du Christ aurait été étouffée, ou il serait devenu une divinité païenne comme les autres, un bouc émissaire sacralisé. Sa parole vraie ne serait pas parvenue jusqu'à nous.

Si sa voix a été entendue, si les disciples se sont ressaisis et si, au lieu de se joindre aux persécuteurs, comme ils commençaient à le faire au cours de la Passion, ils ont finalement proclamé l'innocence de Jésus, c'est grâce à la résurrection et au Paraclet qui leur a enseigné la vérité. La dimension proprement religieuse réclame de nous un assentiment religieux dont nous serions incapables, dit le dogme, sans la grâce divine. Le Christ est donc mort pour nous sauver, pour nous mettre en état de profiter de cette grâce. Dieu demande à tous les hommes de se conduire comme Jésus., c'est à dire de s'abstenir de violences et d'annoncer le Royaume. Cette adhésion religieuse, notre petite raison n'y accède jamais seule, mais nous en voyons la rationalité, et celle de ses effets. Nous voyons que les mythes deviennent lisibles. Nous voyons que les violences structurales reculent, même si les violences anarchiques progressent à nouveau.

En constatant ces résultats nous voyons bien que Jésus n'est pas une divinité archaïque, un bouc émissaire sacralisé. Ce qu'il nous apporte ne peut pas venir des hommes, ne peut donc venir que de Dieu. C'est pourquoi le dogme affirme que le Christ est non seulement homme mais Dieu né de Dieu de toute éternité. Ce n'est pas en tant que bouc émissaire des hommes que Jésus est divinisé. Les gens qui s'imaginent que la divinité du Christ est le résultat de la Passion sont dans le mythe, le Christianisme dit le contraire. Comme la Lumière il est à la fois ce qu'il nous faut voir et ce qui permet de le voir

mercredi 4 juin 2014

le travail invisible de Pierre Yves Gomez

J'ai rencontré, il y peu, le travail de Pierre-Yves Gomez, je suis marqué par le calme de son écriture en comparaison de la véhémence de ses horizons. Clarté, Révolte et profonde paix émanent de sa voix et de ses écrits. Lucidité et espérance.
Vous trouverez ci dessous un résumé de "Le travail invisible" paru en 2013.
Voici sinon, un article et une bonne interview audio.


Gomez veut expliquer la différence entre la réalité du travail et l'illusion de l'économie financiarisée. Après les miracles de la croissance, nous avons perdu le sens du travail humain comme source de la création de la valeur économique. C'est cet escamotage et cette disparition qui explique le mieux notre crise économique selon notre auteur.


I Diagnostic
A Mouvement économique
Gomez explique qu'à force de vouloir créer un Athènes sans esclave, nous avons créé une société de rente illusoire, défigurant la notion de travail car ignorant son origine, il en vient une dramatique auto exploitation, le rentier et le travailleur étant le même.
Quelle est l'origine de la situation ?
Il y a d'abord des petites lois, semble-t-il innocentes, l'indépendance des fonds de pension d'avec les entreprises, libéralisation des opérations du NYSE, ces deux décisions changent radicalement l'orientation de l'épargne, naissance de l'industrie financière moderne, explosion des perspectives d'épargne. Paradoxalement, cette afflux d'épargne géante irrigue les plus grandes entreprises, on veut peu de risques et l'argent appelle l'argent. On fabrique des idoles pour leur amener de la croissance.
Mais qu'avons nous fait de l'épargne de ce nouvel age d'or ? Qui sait vraiment, car il n'y a pas de grand allocataire, le "marché" le fait très bien. Marché, grand gestionnaire indépendant, boite noire pure et parfaite ?
Finalement pas vraiment, Keynes a montré qu'elle est un jeu de miroir (spéculum)
la décision du marché se fait par rapport aux autres et à ce que l'on pense être leurs décision.

L'industrie financière produit mécaniquement par imitation des comportements collectifs spontanés. L'argent est dirigé vers les entreprises jugées comme les plus prometteuses. L'entreprise doit séduire, pas seulement les bénéficiaires mais "plus que les autres". Comparer, anticiper le mimétisme du concours de beauté qui se déroule des deux cotés. Les concepts deviennent mimétiques et se transforment en croyance.(technologie, penser global, innovation etc..)

"Finalement comme en Espagne de la Renaissance, l'afflux d'or a produit de grandes armadas guerrières."

Donc, l'allocation des ressources est du à un jeu de miroir double, on s’intéresse de moins en moins aux entreprises mais à l'attente vis à vis de celle là. Le rêve de la rente conduit à une situation ou l'échange devient plus important que ce qui est échangé et plonge les entreprises dans une guerre économique qui conduit le monde vers un grand élan de l'innovation, arme fatale de la guerre et conduisant les entreprises à devoir courir deux fois plus vite que ce que tout le monde essaie de faire. Toujours plus de vitesse, de consultant, de court terme, de gros mangeant des petits, d’obsolescence de produits qui ne seront jamais profitables...
Cette situation s'accompagne aussi du délire des plus riches, l'explosion des rémunérations n'est que le signe d'un nouveau pouvoir, élite financière traversant les marchés, maitrise technique et mimétique, abstraction et vitesse, ils ont imposé des repères et créé des barrières.

Au départ, la finance est utile, elle permet le paiement des ressources avant la production. La financiarisation, c'est le moment où la finance ne devient plus un moyen mais un enjeu, elle tient son pouvoir de l'idéal de rente généralisée. Les gestionnaires donnent le "la" de la rentabilité. La promesse faite aux rentiers met la pression sur les entreprises mais l'absence longue de profits met le système en danger. Les fonds exigent une rentabilité a priori. Ne nous braquons pas trop vite sur une lutte actionnaires-travailleurs, ce sont pratiquement les mêmes. La vraie distinction est entre l'oligarchie et les autres.

Le propre du capitalisme n'est pas l'économie de marché mais l'accumulation du capital. L'administration et le management organise cela pour l'oligarchie avec l'aide de la SI et du contrôle de gestion. La financiarisation ne tombe pas du ciel, oligarchie + gestion + tendance peccamineuse du capitalisme.

B Conséquence sur le travail : le travail invisible
Bref on assimile le travail à sa contribution au profit. La bureaucratie devient le système rationnelle du contrôle par l'économie. Le mouvement s'est fait avec l'abstraction de la compréhension de l'activité et de la réalité, l'informatique, maitrise du temps et compétence spéculative, sabir d'initié, le manager veut et croit tout contrôler au doigt et à l'oeil, le cadre intermédiaire doit appliquer la logique financière dans le travail. Le mépris inter-classes saupoudre le tout. Les entreprises sont prises au piège du mimétisme, adaptation ou mourir.
Mais pourquoi, la roue de l'économie tourne-t-elle encore ? 

-L'ignorance entretien la confiance d'un contrôle.
-Prospérité remarquable pendant trente ans, tout critique est un pisse-vinaigre !
-Attrait de l'esprit de rente (instinct de survie, sécurité notamment)
-La consommation de soi maintenant l'adhésion au système ( Citation du daily reckonning : Toute l'économie mondiale dépend du consommateur ; s'il cesse de dépenser de l'argent qu'il n'a pas pour des choses dont il n'a pas besoin, nous courrons à notre perte)

Il faut surtout de la confiance, la dette publique est exposée sur la bonne santé de l'économie, les prix réels deviennent ceux du marché et de la spéculation. La croissance éco est entrainée par la croissance de la dette, gagée sur la croissance des entreprises qui assurent la croissance éco. Jeu de miroir infini. Plus on avance plus la roue tourne. Gomez compare alors l'économie financiarisée avec la roue de l'écureuil. Les promesses de rente aux actionnaires ont été récupérées par les prolétaires. Ceux ci cherchent à obtenir une rente perpétuelle sur les entreprises qui la paient en exploitant leur travail. Et tourne la roue. On s'efforce de vivre au dépens de tous...

Il arrive nécessairement la crise, il faut la comprendre dans la vision globale de la rente, il faut diagnostiquer l'évidement général de sens et l'exploitation du tous par tous. De plus l'élite n' a pas réagi car perdu dans sa dé réalité (mondialisation abstraite contre monde), décision prises dans concept déréalisant, les mêmes recettes connues deviennent les problèmes en question, l'élite ne connait pas la sortie de l'économie du miroir.
Regardons le monde réel et observons le travail
Le mot actuel est né de l'industrialisation, outil de la politique libérale et individuelle. Est devenu travail seulement ce qui l'est reconnu par l'entreprise et l'administration. Le travail est devenu une marchandise comme une autre. Cela a souvent conduit vers moins de précarité et des alliages menant a de grandes prospérités.

De plus le travail est perçu comme une malédiction, peine à éviter. C'est la vision doloriste du travail. Vision qui va à l'encontre de la conception biblique quand on la lit bien où l'homme participe à la création. Le péché lui a retiré son dessein, l'homme devient concentré sur son effort que sur sa responsabilité. Le paradis n'est pas représenté comme celui des oisifs rentiers ?
Le travail n'est qu'un mauvais moment pour une perspective de loisirs. En altérant le travail, on peut y altérer l'homme.

Gomez compare les pensées de Simone Weil et de Hanna Arendt. Il commence à voir ce qui les distinguent, Arendt met en valeur le travail comme lutte nécessaire contre la nature et l’œuvre, acte du génie humain alors que Weil ne met aucune distinction, l'homme est corps et esprit incarné, le travail est la source d'un engagement, il est humanisant s'il est incarné. Il ne faut pas dégager du temps libre pour le travail mais il faut créer les conditions d'un travail authentique, un travail intelligent avec conscience de lui même.  Est asservi, celui qui ne sait pas pour quoi ni pour qui il travaille et qui ne peut ressentir aucune fierté de l'ouvrage qu'il accomplit. Le temps libre est au service du travail. Travailler parce qu'il le faut bien devient un esclavage surtout si cela est pour l'économie de la rente. Il faut désormais comprendre le travail comme la personne au travail et le mettre au centre de la société politique pour éviter de ne rester qu'avec la douleur, la rente et les vacances.


II Analyse par les trois sources de la création de valeur du travail
Gomez rappelle quelques bases pour comprendre le travail.
Le travail est toujours une expérience objective, subjective et collective.
Subjective car elle transforme le sujet, elle créé une valeur économique car personne valorisée par la reconnaissance.
Objective car le travail produit quelque chose inscrit dans la réalité commune, ce n'est pas une autosatisfaction narcissique, cela se traduit par un résultat objectif traduit par la communauté.
Collectif car le travail tisse des liens et il est bon d'appartenir à une communauté.

Le travail réel ? Il est vivant, pénible, fatiguant mais stimulant et enrichissant., source de reconnaissance, objectivée par la performance et collective par solidarité

Après avoir délimité ces trois dimensions du travail, Gomez affirme que le travail moderne souffre d'une hypertrophie de sa dimension objective. Le travailleur vaut ce qu'il réalise dans le système rationalisé. Le travailleur est une variable d'ajustement, affaiblissement du faire ensemble, stratégie personnelle. La crise s'annonçait par l'essoufflement du travail. Le manager est mangé aussi par l'hypertrophie d'objectivité.
Perte du réel, écran technologique et fuite vers toujours plus de même chose. (innovation, compétition, rentabilité, abstractions...) Parler de la crise financière, c'est parler de ce qui nous démange mais le mal c'est la dévalorisation du travail. L'économie de rente a rendu le travail invisible et les élites aveugles. Elles se désespèrent du cout du travail alors que c'est la philosophie du travail qui pêche.


III Quelques solutions....

-Reconnaitre la gratuité
-Soigner le travail subjectif (personne ne se lève le matin pour une marge opérationnelle)
-Rechercher des élites responsables du bien commun, qui donnent les directions. 
-Retrouver le sens de ce que nous faisons.
-Savoir être fier des autres
-Stopper le désir névrotique de tout contrôler.
-Gratuité, sens, fierté, leader sensible au bien commun à accueillir 
...et tenter de définanciariser l'économie.

Comment faire pour définanciariser l'entreprise ?
-Redécouvrir le travail humain comme vraie source, le travailleur doit s'extraire des normes et des jeux de miroirs spéculatifs
-La subsidiarité : accepter que les travailleurs ne sont pas des idiots. La vraie délégation du pouvoir se fait du bas vers le haut (Saint Thomas d'Aquin : corriger si il y a du désordre, suppléer si il y a un manque, parfaire si quelque chose de meilleur peut être fait. S'interdire de faire ce qu'un échelon inférieure pourrait faire.
-Co-détermination, veille et supervision des décisions essentielles (et éviter la sur représentation d'oligarques dans les conseil d'administration)

Conclusion
L'économie est morte à force d'abstraction. Le travail est au centre du malaise, prenons de nouveau le travailleur en considération et arrêtons les rêves d'une Athènes sans esclave, refusons aussi tout dolorisme. Le travail est il une malédiction ou un processus d'hominisation ???
Le travailleur est il un paria servile ou un homme libre et actif ?
Il est urgent d'organiser de nouvelles solidarités alors que les retraites ne sont que des illusions. Il est bon qu'il y ait des rentes mais arrêtons de baser nos vies dessus !!

La crise nous convoque ! L'économie du travail vivant reviendra!