mardi 21 janvier 2014

L'histoire anthropologique de la royauté jusqu'à Girard par Lucien Scubla

Par Frazer, Hocart et Girard, Lucien Scubla refait l'histoire de la perception anthropologique de la royauté. Scubla fait de son article une sorte de pyramide, où comment pendant un siècle et quelques personnalités, la thèse est initiée, développée et concrétisée enfin par René Girard.
Il n'est plus le temps de rassembler des données, il est temps de rechercher une théorie fondamentale de l'anthropologie. Scubla illustre cette recherche par l'exemple de la royauté.

L'anthropologue écossais est le premier à affirmer que la royauté n'est pas un pouvoir discrétionnaire mais une lourde charge conduisant presque toujours son titulaire à la mort.
Dans son rameau d'or, il pense que la royauté du bois de Nemi est un condensé de tout système monarchique. 
Régner revient à garantir l'ordre du monde et de la société, le roi est un personnage sacré.
Frazer observe que le régicide est une condition nécessaire car en un seul acte, le régicide et cérémonial d'intronisation se rejoignent.
Frazer propose deux théories. Le roi représente les forces de la nature et il est garant de la prospérité générale. Enfin, le roi est probablement un bouc émissaire prenant tous les maux qui peuvent atteindre le groupe : il doit être mis à mort pour purifier la collectivité dès que le salut de celle-ci parait l'exiger. Mais selon lui la première théorie précède la seconde. Le roi garantit la prospérité et sert, le cas échéant, de bouc émissaire.
Pourtant tous les historiens sont d'accord pour affirmer que tout émergence de l'état ont été forgées par la royauté. Comment ? Comme on peut l'apercevoir régulièrement, le roi originellement prisonnier  de son peuple et promis à une mort violente peut se métamorphoser en chef d'état et détenteur unique de la violence légitime.
La royauté est toujours double, il y a un coté positif subordonné à un coté négatif. Son élimination peut éliminer tous les maux atteignant le groupe et c'est elle qui assure la permanence de l'institution


II Hocart.
L'anthropologue belge est à la charnière entre Frazer et Girard.
Les principaux points de Hocart sont l'unité des rites, les origines rituelles de la culture, les premiers rois furent des rois morts.
Selon lui, tous les rites dérivent du sacrement d'intronisation or tous ces rites sont construits sur le même modèle.
De nombreuses techniques  et la plupart des institutions  viennent des besoins de culte, la guerre par exemple, avant d'être une affaire de politique extérieure est une activité rituelle visant à procurer des victimes sacrificielles. Les fonctions rituelles du roi sont un trait  primitif de l'institution et non le reflet ou le déguisement d'un ordre social économique. Comme Durkheim, Hocart voit que le religieux constitue une sorte d'auto-domestication de l'homme.
Mais alors quelle est la forme de l'origine de la cérémonie royale ? Et puisque le premier roi était un homme mort, comment se peut il que la royauté ait commencé par des funérailles ?

La mort naturelle ne suffit pas pour faire un roi; il faut donc supposer que celui qui devient roi ne meurt pas spontanément mais qu’il est mis à mort rituellement. C’est d’autant plus vraisemblable que la cérémonie d’installation, telle que nous la connaissons, comprend toujours une mise à mort fictive suivie de renaissance. Or, « c’est une règle invariable qu’une fiction soit un sub-stitut de la réalité » [ 1954, p. 76]. Puisque l’on fait semblant de tuer le roi, c’est qu’autrefois on le tuait réellement. On devient roi en mourant comme victime sacrificielle, et le sacrement originel, le rite-souche auquel tous les autres rites se rattachent, est donc le sacrifice humain.

Ces résultats confirment Frazer mais le retourne. Le régicide n'est plus une issue fatale il est au principe même de la royauté. La mise à mort confère la royauté. Mais il y a l'énigme des sacrifices humains. D'où lui vient sa puissance de création du sacré ?

Sa définition du rituel, comme « une organisation dont le but [est] de contribuer à la vie, à la fertilité, à la prospérité – en ôtant la vie à des objets qui en regorgent pour la communiquer à d’autres moins bien pourvus » – n’est rien d’autre qu’une description de la mise à mort rituelle et des effets bénéfiques qui en sont attendus. Mais cette définition implicite du sacrifice fait de lui un simple transfert de vie. Sauf régression à l’infini, elle suppose, comme la première théorie de Frazer, que certains êtres sont, par nature, dotés de vertus propres, mais transférables à d’autres êtres. Or cela s’accorde mal avec un principe fondamental du rituel, suivant lequel il n’existe pas de personne ou d’objet « possédant une vertu inhérente à soi-même », et aux termes duquel tout être doué d’un pouvoir l’a acquis « par la consécration, c’est-à-dire après avoir reçu “la vie”» au cours d’une cérémonie appropriée.
Car, si le sacrifice humain est bien le sacrement originel, ce principe nous invite à penser la mise à mort rituelle non plus comme transfert de vie, mais comme source de vie.

Hocart ne repousse l'origine, comment acquiert on le statut de victime digne d'être immolée ? Comment trouver la matrice pré rituelle de la société ?

 III L'apport girardien, de la victime sacrificielle à la victime émissaire.
Il est d'abord intéressant de voir comment Freud, lecteur de Frazer et Robertson Smith tente une première hypothèse forte dans Totem et Tabou. Comme pour Hocart, la société se forme et s'organise autour d'un cadavre et plus précisément d'une victime. Pour Hocart, la victime est mise à mort par un sacrificateur mais pour Freud, elle est victime d'un meurtre collectif spontané. Mais Freud veut seulement voir un événement unique et exceptionnel d'où il tirerait toute l'histoire familiale, religieuse et politique de l'humanité et nous ne savons plus si la relation œdipienne est à l'origine ou conséquence de la horde primitive.

S'il n' a pu développer sa théorie, il reste qu'il est le premier à avoir développé l'intuition que le crime originel est au cœur du processus qui montre comment les sociétés se défont et se refont rituellement.
il faut attendre 1972 et René Girard pour reprendre cette thèse et retrouve le moyen de bâtir une première théorie plausible des origines violentes  des sociétés humaines. Il jette les bases d’une théorie générale des formes élémentaires de la vie religieuse et sociale, sans remonter vers un improbable rite primordial dont tous les autres seraient issus, ni vers un événement préhistorique qui aurait laissé son empreinte sur toutes les sociétés présentes ou passées, mais en mettant au jour un mécanisme universel et intemporel dont les opérations et les effets peuvent se réactiver indéfiniment et qui constitue une matrice permanente, pré rituelle et pré institutionnelle, des rites et des institution.

La théorie girardienne montre la commune origine de tous les rites, elle ne présuppose pas l'existence de la société mais décrit un mécanisme capable de l'engendrer et de la ré-engendrer.

Opérateur de convergence des désirs et des actions, il peut être alternativement facteur de division ou d’union. En dirigeant les désirs des individus vers les mêmes objets non partageables, et en les entraînant dans le jeu de miroir de la réciprocité négative, il divise le groupe en frères ennemis dont il attise les rivalités et il déclenche la crise sacrificielle, en finissant par faire disparaître tout point d’ancrage externe, tout autre objet de conflit que le conflit même. En canalisant, par simple contagion mimétique, toutes les violences sur un seul individu – la victime émissaire –, il recompose spontanément l’unité du groupe dans l’unanimité retrouvée, dans le tous-contre-un de la violence collective, et met fin à la crise en rétablissant entre les sociétaires un tiers objet extérieur : la victime, le dieu qui a déclenché la panique puis résolu la crise en ramenant la paix, le roi sacré, le totem ou tout autre médiateur transcendant.
Le meurtre fondateur est le produit d'un mécanisme spontané.

Comme Hobbes, Girard a voulu comprendre comment le lien social se forme et se stabilise. La crise sacrificielle a le même statut que l'état de nature de Hobbes et conduisent vers le même effet, l'émergence d'un tiers transcendant, situé à la fois, au centre et en dehors de la société. Ils ne veulent décrire un moment particulier de l'histoire humaine mais les conditions permanentes des interaction ses individus et ses groupes.
Par sa théorie mimétique, Girard n' a pas besoin de la rationalité de Hobbes pour expliquer la convergence des désirs et sa conclusion logique vers la guerre du tous contre tous.

Bref, la théorie de Girard est le couronnement de Frazer et de Hocart, seul capable de rendre compte de tous les aspects de l'institution. Le roi est un avatar de la victime émissaire et ipso facto, le régulateur de la vie sociale.

1 commentaire:

  1. Cet article est intéressant pour compléter mes articles sur rené Girard et les origiines de la culture.

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