lundi 17 novembre 2014

Justice et ressentiment La marque du sacré chapitre 5 Jean Pierre Dupuy

Et ici, la somme des chapitres...
l'économie théorique et la pensée politique allant avec ne voient pas la menace pour les sociétés du mouvement exponentielle de la concurrence et des passions destructrices.

Le désenchantement du monde (ou désacralisation) est due à l'érosion par le message évangélique des structures religieuses primitives qui étaient aussi des barrières au déchainement du désir mimétique. En cessant de croire aux sorcières, la science s'épanouit et inverse la causalité en attribuant tout à la marche de la raison. Le temps des rites fait place au travail et à l'économie. 
Le débridement des vices (avant limités par les interdits) privés et des passions envieuses ne permettent peut-être pas le bonheur mais la richesse. Le déchainement a des cotés positifs mais a d'autres effets ravageurs notamment sur la santé mentale, le ressentiment domine le monde... L'économie devient l'essence de la modernité, elle se prononce sur la justice sociale. Inversement la philosophie morale moderne ne voit pas qu'elle est prise par les concepts de la théorie économique. Elle se base sur la rationalité instrumentale.
Les théories de la justice de ce style s'inscrivent dans l'arrière fond du christianisme et de l'injonction de se placer du point de vue des petits, des victimes. Ces théories veulent fonder cette injonction sur leurs tautologies logiques, elles reposent sur ce qu'elles veulent démontrer géométriquement. Aveuglement qui les rendent fragiles aux passions destructrices tributaires d'un phénomène religieux auxquels elles n'ont pas accès : le retrait du sacré. C'est dans le domaine de l'économie que cet aveuglement a les pires effets.

1 La justice n'est pas réductible à la logique.

Avant, les institutions savaient créer de la distance, désormais cette institution est la richesse, elle est désirée, comme l'a vu Smith par ce qu'elle concentre la sympathie, l'envie. En pensant à l'injustice, il faut penser au triangle. Or la pensée économique ne pense que le lien sujet --> objet. Cette pensée espère atteindre une société où plus personne n'envie quiconque en prenant des méthodes "scientifiques". Equité = construction de normes éthiques mais elle ne vient pas des analyses des passions humaines. C'est la raison qui blesse un état d'équité. Les sociétés inventent des moyens symboliques qui facilitent la dissimulation des passions comme les règles éthiques. L'indignation morale, aussi, peut être l'expression de l'envie (puritanisme). Cette théorie ne s'intéresse pas au personnes mais au statut et de distribution de richesse.

2 Inégalités sociales et humiliation
Pour contenir les passions de l'inégalité, les théories modernes font des contorsions. Il y a 4 dispositifs symboliques pour que les relations de supériorité ne soit pas humiliante. Ce sont les remparts contre la menace redoutable du ressentiment.

-La hiérarchie
C'est, selon Louis Dumont, La forme sociale des sociétés archaïques. Conception holiste où le tout est un élément supérieur. Le haut n'a de sens que selon cette idéologie, pas de supériorité individuelle. Par exemple la monarchie héréditaire ne se pose pas la question de la qualité de la famille, elle est faite pour en dispenser la société. Le but est toujours d'éviter la mise en concurrence des valeurs individuelles. Dans anciennes sociétés, toute ascension sociale n'est accepté que si on peut l'expliquer par l'aléa ou par la protection de réseau de relations.
-La démystification (Bourdieu)
Elle joue le rôle que jouait la hiérarchie dans le passé. Elle permet d'éviter d'avoir à attribuer au mérite les situations favorables de chacun. On démystifie les valeurs méritocratiques en révélant la transmutation de l'héritage social en grâce individuelle. Le démystificateur devrait n'éprouver aucune admiration pour ceux qui dominent le paysage économique et sociale. Malgré leur discernement de ces ordres, leur gout du social et de la remise en cause est pleinement concurrentielle.
-La contingence (Rawles)

Ou loterie des conditions, les principales théories de la justice comme celle de Rawles sont aussi anti méritocratiques. Les inégalités sont admises que dans la mesures où elles maximisent la situation des plus mal lotis. On rémunérera les talents non pour raison morale mais pour avoir accru le bien être des malheureux. Il entend ainsi neutraliser la loterie naturelle et sociale.
Il existe trois points : A La justice implique une corrélation positive entre talents et efforts et avec parts de la richesse sociale afin que le lot le plus faible soit le plus grand possible. B On n'a aucun mérite à ces talents et efforts. C Donc corrélation parts/talents ne traduit pas un principe méritocratique. Les gens "d'en bas" ne peuvent donc pas en vouloir à ceux d'en haut et devraient même les remercier de n'être pas plus bas. Cela pourrait marcher si tout le monde acceptait que le mérite ne joue aucun rôle. Mais cela est impossible dans un univers concurrentiel. Les gagnants ne veulent pas qu'on les prive de leur prestige ni les perdants de leurs tourments.

-La complexité (Hayek)
Dupuy note la différence entre Walras et Hayek sur la notion de main invisible, composition harmonieuse des comportements ne visant pas l'intérêt commun pour le premier, pour le second, il s'agit plutôt de l'autoorganisation de la termitière. (Imitation plutôt qu'instinct) Tout est comportement individuel puis sélection naturelle éliminant ce qui doit être. Hayek critique alors les politiques sociales car elles sont aveugles, on ne dicte pas à un ordre spontané sa direction. C'est la complexité sociale. Seul un marché peut décider d'une valeur, on ne peut l'anticiper. Hayek comprend que le marché concurrentiel peut exacerber les passions, seul compte l'échec ou le succès. Le remède Hayek la cherche dans le plus vieux recours traditionnel : l'appel à l'extériorité : c'est la "complexité", la dynamique sociale. "On supporte plus aisément l'inégalité, elle affecte moins la dignité, si elle résulte de l'influence de forces impersonnelles, que lorsqu'on la sait provoquée à dessein"
Comme chez Rawles, tout cela marche si on est d'accord avec le philosophe sur l’extériorité. Or, comment ne pas douter ??? L'ordre du marché ne nous enferme-t-il pas dans des impasses.
 
3 Pour un abord anthropologique et politique de la question des inégalités.
-La violence des ressentiments.
Le tragique de notre monde nous doit faire réfléchir sur la violence des passions et refuser les idéologies et la vision économique du monde. Le ressentiment mondial ne doit pas tourner en violence mondiale. Arrêtons de jouer à la géométrie morale cachant mal sa rationalité religieuse.

L'amour propre est force de destruction. Il y a, alors, croisement des regards : l'invidia. L'envie et la jalousie se polarisent sur l'obstacle et élimine toute force de rationalité. La bonne société est celle qui rétablit la transcendance de l'amour de soi (volonté générale). L'obstacle est un autre dont le désir identique au notre se dresse entre nous et l'objet. La passion nait car le rapport à autrui oblitère le rapport à l'objet. La vision éco ne voyant que rapport entre sujets et objet est condamnée à rester aveugle aux passions.

Revoyons ce qu'est l'intérêt : inter esse pour Arendt, c'est ce qui rassemble mais qui empêche de tomber les uns sur les autres. Vivre ensemble dans le monde c'est dire essentiellement qu'un monde d'objet se tient entre ceux qui l'ont en commun, comme une table est située entre ceux qui s'assoient autour d'elle ; le monde, comme tout entre deux, relie et sépare en même temps les hommes." Le ressentiment est la forme ultime du mal. Lorsque aucun intérêt pour le monde ne se tient plus entre les êtres pour les empêcher de tomber les uns sur les autres... " Sans médiation, c'est alors la mêlée, plus d'intérêt propre et d'intérêt commun.
La tache aveugle de Bourdieu et de ces pensées de l'économie est de ne pas pouvoir imaginer la possibilité de ne plus y avoir d’intérêt, plus de commun, ils n'imaginent pas l'anomie... Dangereuse naïveté.

-la sacralisation de la victime

Celui qui se juge en situation d'infériorité se pose en victime, or dans notre monde la victime est sacrée. La sacralisation des victimes est l'obstacle majeur ! L'universalisation du souci de la victime montre l'unité de notre planète. Mais on a pu massacrer au nom des victimes. On se bat même pour être la victime. Morale d'esclave du christianisme dit Nietzsche. Mais c'est un christianisme corrompu.

Bref, traiter l'inégalité avec la théorie de justice donnant un poids trop grand dans la victimisation, c'est aller dans le sens inverse de ce qu'il faut faire : ne plus se rendre complice de la sacralisation de la victime.

-Sortir du modèle victimaire.
Les pauvres acceptent que les riches soient riches mais pas que ceux ci les humilient. Quand vient l'humiliation, vient aussi le statut commode de la victime. La négociation devient impossible. Dans la justice victimaire, le persécuteur est sommé de rétribuer sa victime pour le ressentiment vécu. Il faut pour en sortir retrouver l'égalité morale.
Or les théories de la justice pensent que la société juste saurait se couper du ressentiment. Ils ne voient pas que c'est dans une société s'affichant juste que ceux qui s'y trouveraient en situation d'infériorité ne pourraient qu'éprouver du ressentiment. La géométrie morale ne vainc pas l'envie. Elle nous illusionne et nous éloigne des solutions. Comment minimiser ou réduire les effets du ressentiment ? Les canaliser vers formes bénignes ? 


L'emprise de l'économie sur sociétés modernes ne fait qu'un avec le retrait du sacré qui les constitue, concomitant d'un déchainement de concurrence et des passions toujours plus forte...

Paradoxe : l'économie théorique et la pensée politique allant avec  ne voient pas la menace pour les sociétés du mouvement exponentielle de la concurrence et des passions destructrices. La concurrence est "pure et parfaite". Il suffit de s'échanger des marchandises pour faire société efficace et pacifiée. Cette utopie en forme de cauchemar est peut être le prix à payer par une société désormais dépourvue des protections que le sacré lui assurait. L'économie, à la fois réalité et pensée, occupe en creux la place du sacré. Elle en est la marque suprême.


Plus bas, plus de détails sur ce chapitre...
 


jeudi 23 octobre 2014

La lotterie de Babylone 4ème chapitre de La marque du sacré de Jean Pierre Dupuy


Et ici, la somme des chapitres....


Continuons notre lecture de la marque du sacrée (après ceci, cela et encore)
Cette fois, Dupuy s'attaque au politique, au vote et à la démocratie. Oui, oui, pour vous aussi, dit Dupuy, nous pouvons retrouver (malgré vos qualités, votre respectabilité et donc aussi votre morgue...) vos racines profondes dans le religieux et le rituel. Vous ne cessez de buter dessus sans les voir.

 
Nous avons en tête la phrase de Tocqueville pourtant aussi :

"pour moi, je doute que l'homme puisse jamais supporter à la fois une complète indépendance religieuse et une entière liberté politique ; et je suis porté à croire que s'il n'a pas la foi, il faut qu'il serve, et s'il est libre, qu'il croie"

Dupuy défend la thèse suivante : on échappe pas à la logique de l'extériorité or le hasard y joue un grand rôle.

En effet, dans les sociétés traditionnelles, la détermination du bouc émissaire a une grande composante de hasard, non pas aléa moderne comme incertitude réglée mais hasard perçue comme décision d'une extériorité. L'auto-transcendance que produit le hasard a partie liée avec la façon dont les hommes auto-extériorisent leur violence sous la forme du sacré. En passant du hasard à l'aléa, on a cru passer du sacré au calcul, de l'irrationnel au rationnel.

Mais prenons le cas de la philosophie morale sur le choix du sacrifice de l'innocent (ex Le choix de Sophie, William Styron), un pervers nous fait choisir de sacrifier entre deux personnes sinon il tue les deux. Il faut choisir de choisir, l'aléa n'a pas la capacité d'extériorisation. Il en est de même pour les cas d'adoption ou les couples cherchent la reproduction du hasard de la loterie biologique.

Dupuy pense que le vote engendre un hasard légitime et porteuse de sens et productrice d’extériorité et de transcendance. Quand bien même la politique moderne est la recherche de l'immanence mais il ne font que croire de s'affranchir de la transcendance.
Avant tout, notons trois paradoxes logiques du vote et de la volonté générale de Rousseau.

1
On peut avoir l'image de la volonté générale comme la synthèse des volontés personnelles. Or elle entre toujours en rivalité, elle se dressent contre toute les autres, cette synthèse est impossible (K.Arrow). Mais il faut voir que c'est ce qui sauve la démocratie, sinon, il ne suffirait d'un grand ordinateur qui la calcule. La démocratie permet de changer la volonté particulière qui prend le rôle de la volonté générale. Or c'est parce que tous savent que la volonté des gouvernants n'est rien d'autre que leur volonté particulière, que le mythe de la volonté générale peut être préservé.

2
Avec le décompte des voix, la politique instaure le quantitatif comme avec le prix dans l'économie, elle instaure les analyses et prévisions. Qu'en est il de la différence entre sondage et élection ? Le sondage a, en effet, en plus une influence sur les sondages. La scientificité du sondage donne à croire que le vote est rationnelle mais non donc... La pratique du vote tranche certes, mais elle ne fait que décider dans l'indécidable...

3
Quelques pierres ne constituent pas un tas.
Sauf en cas de vote égalitaire entre deux camps, il est inévitable de conclure que le bulletin déposé dans l'urne par chaque électeur a un effet nul. Le résultat n'aurait pas changé si je n'avais pas voté. L'électeur rationnel ne devrait pas voter. Les arguments pour aller voter ont une dimension magique (En votant, j'influence), tout comme les arguments des politologues français croyant que l'élection américaine se jouât sur les votes de quelques floridiens. Ou bien encore la tentative de reconnaître un sujet collectif.

Le vote est un paradoxe et Dupuy se tourne sur les élections américaines 2000 pour nous le confirmer.

On ne peut voir, nous dit il, les votes entre Bush et Gore comme des valeurs déterminées que l'on peut approcher. La marge d'erreur a été plus grande que le seuil critique entre les deux bonhommes. La décision dépendait de cela même qui échappe à l'observable. Une cause si petite déterminait un résultat considérable. Aux USA, un petit transfert de voix peut bouleverser un état qui peut bouleverser l'équilibre entre les grands électeurs qui votent à l'unanimité dans un état.

Cet incident et cette procédure peut être scandaleuse si on pense que le vote doit être rationnel et révéler la volonté générale mais pas autant que cela si on pense la procédure comme un moyen de renvoyer la décision à une instance qui échappe aux choix individuels. Paradoxe de la démocratie, perdu dans la multitude, l'individu ne voit pas l'influence de son emprunte sur le groupe, mais le point où arrive cette situation comme en 2000 aux USA est celui où la procédure semble arbitraire.

La démocratie moderne ne ressemble jamais autant à ce qu'elle ambitionne d'être que lorsqu'elle devient indiscernable d'une gigantesque loterie.

Chacun se demandant s'il va voter ou non, se fixe sur le cas, (possibilité infinitésimale) où sa voix ferait basculer le vote d'un camp dans l'autre. Pouvoir qui serait aussi phénoménal qu'insignifiant puisqu'il n'y aurait pas de différence pour ce qui est du résultat global avec le fait de tirer à pile ou face. Ne sommes nous pas dans le cas où le hasard a un sujet, nous retrouvons l'auto transcendance où le peuple transcende l'individu ? Comprenons, le vote et le rituel dans leur rationalité.

Exemple de l'élection américaine : première phase, crise d'indifférenciation, qu'est ce qui les différencient ? Plus ils se ressemblent, plus leurs différences sont petites et illusoires. Ensuite la nation se rassemble en un mouvement cathartique autour du vainqueur. Le je ne sais quoi a suffi d'en faire l'intégrateur de la nation. Les rituels d'un traité de paix joue la guerre puis la non guerre + sacrifice. Le vainqueur sera immolé. Souverain ou martyr, différence apparemment considérable mais la similitude du choix des deux reste troublante.

La crise de l'Amérique est que la violence qu'il s'agissait de nier a occupé pendant longtemps toute la scène en l'absence d'une solution cathartique qui n'arrivait pas. (media au langage religieux). Il fallait réaffirmer une foi. celle du pouvoir nourricier de la constitution, du règne de la loi et la grandeur d'un système. qui place la loi au dessus des hommes. Peur de la perte de légitimité du système. Le rite joue avec le feu. en jouant l'affrontement pour mieux le dépasser. Risque que la fête tourne mal et que l'incendie embrase tout. Des voix demandaient que les candidats rivaux sacrifient leur ambition pour défendre l'idéal. La victime consentante serait le vainqueur dans l'ordre symbolique et peut être à l'avenir, dans l'ordre réel.

Pour un rapprochement de l'anthropologie et de la philosophie politique


la démocratie est essentiellement rituel dont l'efficacité dépend prioritairement de la participation unanime et du respect scrupuleux des formes.
Paradoxe, le suffrage universel est le moment où la souveraineté populaire devait se manifester mais où aussi l'individu social est converti en unité de compte. Ceci n'est pas, non plus, possible sans dissolution des liens.
Il y a un rapprochement à faire entre la démocratie et la désagrégation conflictuelle de la communauté et en même temps, acte de collaboration sociale. Dans le carnaval encore, le comble du holisme et le comble de l'individualisme apparaissent comme ne faisant qu'un.

Répétons (aussi avec Gauchet) :
La division de la société d'avec elle même (logique du sacré) est importée à l'intérieur de la société. On a pensé que l'intériorisation de la coupure entre la société et son Autre allait entrainer une réappropriation totale de l'être collectif. C'est l'histoire des sociétés démocratiques et de leur prise de conscience de leur fragilité constitutive. (deal irréalisable et dangereux. )
L'absolue souveraineté tendrait paradoxalement à engendrer son contraire...
Un corps politique ne pourrait donc être sujet de lui-même qu'à la condition d'accepter que les instruments dont il se dote pour mettre en acte sa souveraineté le dépossèdent de celle ci dans une certaine mesure. Avant, pouvoir incorporé désormais le lieu du pouvoir devient un lieu vide, on ne peut plus se l'incorporer (sans devenir fou et faire plonger la société avec), il y a compétition réglée et institutionnalisation du conflit.

Écoutons Lucien Scubla en lien avec Hocart, "Si volonté générale est inaliénable, nul ne saurait en être le détenteur ; si la volonté générale ne saurait être représentée, rien ne saurait en être le représentant pas même le peuple unanime. Le chef de l'état occupera un lieu inviolable et comme le roi ashanti qui siégeait sous un tabouret d'or sur lequel nul ne pouvait s'asseoir, placé sous la protection de la Volonté Générale mais ne pouvant s'identifier à lui. Gardien d'une place vide que nul ne saurait s'occuper. Cette place vide est la substance invisible autour de laquelle se structure l'ordre social et politique. Personne ne peut parler en son nom.
Anecdote, pour finir, d'une tribu africaine Gura. Ne voyant pas des hyènes féminines, deux tribus se battent sur l'existence de celle ci. Compétition de chasse intervient pour déterminer cela. La tribu qui a le plus chassé de biches a gagné et permet de déterminer le fait. On peut voir ce rite comme un chainon entre le sacrifice humain rituel et la symbolisation à son extrême par le bulletin de vote. Pas plus raisonnable de compter les biches que les bulletins, mais dans les deux cas, l'essentiel est la participation au rite unanime garantissant l'efficacité des deux. 
Mais qui dira le sexes des hyènes ?
Et sur les dangers qui se rapprochent ?
La sagesse est elle du coté du plus grand nombre ?
Plus bas, résumé au fil de la lecture

lundi 6 octobre 2014

La religion, nature ou surnature ? La marque du sacré Jean Pierre Dupuy

Et ici, la somme des chapitres...

Je continue mon exploration du livre de Jean Pierre Dupuy, la marque du sacré...
Troisième chapitre

Dans ce chapitre, notre cher auteur s'en prend aux cognitivistes, les scientifiques anti religieux, recherchant à faire table rase de l'homme religieux en en montrant l'inanité. Il est dur avec eux mais il en profite surtout pour montrer la pertinence du religieux et du christianisme. Arrêtons de balayer le religieux d'un revers de main !!!!
A ce propos, Il en profite pour clarifier sa situation. Il n'est pas pratiquant et pas vraiment croyant. Mais il pense que le christianisme est une épistémologie qui en sait plus sur l'homme que toutes les sciences sociales réunies. 
On peut lui reprocher cette position ambiguë mais ne nous rend il pas un service énorme en martelant tout le long de ces chapitres notre impossibilité de nous écarter du sacré et de nous comprendre à l'extérieur de lui.... Son dernier passage sur le débat Durkheim - Brunetière est très intéressant, il nous permet d'appréhender toujours un peu plus le libéralisme comme tentative illusoire mais séduisante d'accomplir le christianisme sans son aide et de sacrifier d'autant mieux l'homme qu'on croit le mettre comme fidèle et dieu de cette religion de l'individualisme...


Mais, au fait, pourquoi être religieux ?

On ne peut parler du religieux qu'en s'y embarquant, 
nous en sommes traversés même quand nous ne le savons pas. Les cognitivistes ne le voient que comme un obstacle où ils font naufrage... Le message chrétien est science humaine et la condition de possibilité de toute science humaine, de plus elle tue doucement toutes les autres religions. Les cognitivistes veulent en faire une religion comme les autres mais lui réserve au final toujours un sort spécial. Ils développent ce qui leur semblent absurdes. Mais ils oublient la Passion, au moins Nietszche n'oubliait pas la Passion, Dieu est mort, et c'est nous qui l'avons tué. L'incroyable, ce n'est pas que les êtres surnaturels font des choses incroyables, c'est qu'une religion se soit reconnu dans un Dieu qui fut la victime d'un lynchage collectif. Le monde a retenu cette histoire et a été façonné en retour. C'est une histoire humaine où on peut se reconnaître. Les cognitivistes sont coincés.


Le religieux est effervescence sociale non collier de concepts
Ce n'est pas un système d'idée. Ils ne cessent de se poser la question de savoir comment l'évolution a t elle laissé passer cette absurdité. Ils oublient que la foi est bâtie par le groupe et dans l'action. Ils oublient la crainte de l'ordre social. Ils ne voient pas comment la violence comme pharmakon, poison et remède est l'énigme centrale du religieux.

Dupuy résume un petit peu Girard, la théorie du bouc émissaire et affirme : l'histoire de l'humanité est l'histoire de l'évolution des systèmes sacrificiels. Les mythes et les rites masquent la violence du religieux pour mieux contenir la violence sociale.
Manifestation d'un choix collectif, le sujet collectif dissout au plan moral la question de la responsabilité. Le sujet collectif , dans un premier temps met en scène la rivalité pour ensuite la transcender et faisant émerger une entité en surplomb, garant de l'ordre social.

Dupuy note l’étrangeté de la forme circulaire de la logique sacrificielle : le dieu émane de la victime mais il faut qu'il ait encore toute sa nature divine au moment où il entre dans le sacrifice pour devenir victime lui-même.

Notre cher Jean Pierre fait ensuite un paragraphe proche de celui de Gil Bailie pour inviter nos âmes modernes à reconsidérer le christianisme. Le savoir chrétien est partout, la connaissance du bouc émissaire travaille le monde mais ses effets sont redoutables, que peuvent faire les sociétés si on leur enlève les béquilles sacrificielles ? Pour comprendre la religion il faut avoir méditer le verset suivant : Matthieu 10, 34-39 Je ne suis pas venu apporter la paix, je suis venu apporter la glaive.


Dupuy finit par une lecture très intéressante du débat entre Durkheim et Brunetière lors du débat sur le capitaine Dreyfuss. Durkheim affirme que l'individualisme est une religion (d'origine chrétienne), une religion compatible avec la communauté humaine ou l'homme est le fidèle et le dieu. Durkheim avoue que le libéralisme veut accomplir les promesses du christianisme, la religion de l'individu est tout ce qui peut retenir les hommes les uns les autres. Mais Durkheim, et sa sociologie,  se sépare du christianisme. Il défend l'homme in abstracto, il est moins blessé par la blessure de l'homme concret que par l'atteinte d'un homme universel. Ce dernier et les grandes idées peuvent devenir des idoles, pour le christianisme la brebis égarée est la plus importante au risque de mettre en danger les quatre vingts dix neuf autres. Il est le ferment mortel qui a vocation de détruire toutes les puissances. Durkheim ne voit pas la dimensions épistémologique du Christianisme et les cognitivistes ne voient pas, à l'inverse de Durkheim, que c'est le sacré qui a engendré les cultures humaines.

Ci dessous quelques notes au fil de la lecture

vendredi 18 juillet 2014

La flamme chancèle mais demeure vivante

Chers amis, lecteurs fidèles, camarades de passage,
vous qui êtes bien silencieux et que je connais bien mal.
Je dois vous prévenir d'une chose que vous avez probablement remarqué :
Mon relatif silence et le tarissement de la source qui semblait sans cesse jaillissante.
Je dois mettre mon activité bloguesque entre parenthèses et/ou en sourdine.
Je reviendrai certainement de temps en temps avant peut être de revenir en reprenant un rythme de croisière.
Qu'il fut bon de vous écrire...
J'espère qu'il vous fut bon de me suivre...
A bientôt malgré tout....



Si je ne vous ai pas écrit ce n'est pas que l'amitié s'effrite.... Mais que le temps passe trop vite...
Me gardez vous votre amitié ?

jeudi 26 juin 2014

La science, une théologie qui s'ignore - La marque du sacré 2nde partie

Et ici, la somme des chapitres...
Dans ce chapitre, Dupuy cherche la trace du sacré dans la science.
La science n'est pas neutre. (J'invite les lecteurs aussi à ce texte de Hadjadj et à cette conférence de Levy-Leblond cité dans le livre) Elle n'est pas libre de valeurs. Dupuy la comprend comme l'accomplissement de la métaphysique occidentale. Ce qu'on appelle le désenchantement par la science n'a son origine que par la disparition de l'appréhension magique du monde et relève paradoxalement de l'acte de foi. La science peut elle vraiment se rendre autonome de la question du sens du monde ?



Dupuy accuse Lecourt qui pense que les catastrophistes (dont ferait partie Dupuy) et les techno prophêtes sont les deux faces d'une même pièce. Faux. On peut aimer la science et croire qu'elle nous conduit vers l'abîme, il faut sentir la logique, la marque du sacré de la science. Comme tout aujourd'hui, la science est marquée par sa contradiction, elle se pense comme universelle et aboutissement de l'humanité après tâtonnements mais le monde et les hommes peuvent ils supporter ces développements ? Ne faut il plus choisir entre une exigence d'éthique et le mode de développement que le monde s'est donné.

Est ce devant les générations futures que nous devons y penser ? Dans le cœur de la pensée progressiste, les générations antérieures se sacrifiaient pour le bonheur plein et entier des générations à venir, or désormais nous voulons éviter la catastrophe. Mais ne pensons pas à des générations futures, pensons à nous même et à notre responsabilité, à notre regard vers l'avenir. C'est ce dont nous avons besoin.

Ensuite Dupuy s'arrète sur les NBIC, acronyme parlant des nanotechnologies, biotechnologies, informatique et sciences cognitives. Il cherche à expliquer en quoi derrière leur neutralité elles portent avec elle une modification du regard de l'homme sur lui-même. Cette modification est d'autant plus difficile à remettre en cause qu'elle est au cœur des jeux de rivalités et d'économie des grandes puissances.

Celles ci changent le regard de l'homme sur
  • La nature. Celle ci devient nature artificielle, comprise et réécrite dans le sens où l'esprit de l'homme peut et doit en être le créateur. Il n'y a plus collaboration mais remplacement pour faire mieux. Le monisme matérialiste est devenu spiritualiste.
  • La connaissance. Comme nous pouvons connaître ce que nous avons créé (Vico). La nature ne peut plus être un donné extérieur à soi. Savoir et pensée peuvent se séparer....
  • L'éthique. La nature étant un artefact, on peut agir sur elle à loisir, il devient difficile de fonder une éthique exigeante. Qui dit éthique, dit triomphe du sujet. Mais que devient ce triomphe si l'homme et la nature sont machines computationnelles. Au nom de quoi l'homme exerce t il son pouvoir ? Au nom d'un mécanisme aveugle ? De quel sens ? Vide ! La connaissance d'une nature devenue objet du faire humain se traduit par la négation et de la nature et de la connaissance. Les pro NBIC voient leurs contradicteurs comme des judéo-chrétiens qui les empêchent de devenir comme leur Dieu, cela va en contradiction avec la vision judéo-chrétienne de l'homme co-créateur mais correspond au christianisme perverti où  la science a pris le relai de la désacralisation du monde et l'élimination progressive de tous les tabous. Dans une société qui rêve de fabriquer la nature selon ses désirs et ses besoins, l'idée d’extériorité perd tous son sens. Or il n'y a pas  de société humaine libre qui ne repose sur principe d'autolimitation. C'est le problème éthique de notre monde moderne et de sa sortie du sacré....
  • La métaphysique. Les métaphores mécanistes permettent des progrès technique et imposent sa manière de voir. Le naturel non vivant, le vivant et l'artefact fusionnent, indistinction et fin de la croyance en la brisure entre ces catégories. Souvent ces mêmes scientifiques le font avec un air d'humilité. Dupuy voit dans cette humilité le ressentiment du bourreau se prenant pour une victime. C'est l'autoroute de la violence.
  • L'anthropologie. Nous voulons échanger le donné contre une œuvre de nos mains. La mort et la souffrance sont devenus des problèmes à résoudre. L'ethique perd tout si elle ne fait que juger le bien et le mal, elle doit poser les questions dérangeantes sur la nature humaine. Revenons avec la citation d'Illich (plus bas) vers des retrouvailles avec la santé structurelle. Tout homme connaitra ses limites humaines, les traditions savaient les embrasser. Lorsque la finitude de la condition humaine est perçue comme aliénation et non comme source de sens, on perd quelque chose d'infiniment précieux en échange de la poursuite d'un rêve puéril. 

Enfin, Dupuy nous invite à voir chez les transhumanistes, des idolâtres de l'homme.


Nous vivons une fuite en avant globale où la technique n'est que le seul rempart de la technique. Nous vivons entre promesse folle et risque paniquant qui se termine en relations publiques. La science ne peut plus échapper à sa responsabilité, elle doit gagner en réflexivité et en faisant participer le plus grand nombre à ses questions. Arrêtons de créer des spécialistes aussi naïfs sur la gangue idéologique et métaphysiques où ils ne se voient pas patauger.
Et puis surtout relisons sans cesse cette invitation illichienne citée par Dupuy : Il ne m'apparait pas que les états doivent avoir une politique de santé. Ce dont les gens ont besoin, c'est le courage de regarder en face certaines vérités. Nous n'éliminerons jamais la douleur, nous ne guérirons jamais toutes les affections, il est certain que nous mourrons. La quête de la santé peut être source de morbidité. Il n'y a pas de solutions techniques et scientifiques.. Il y a l'obligation quotidienne d'accepter la contingence et la fragilité de la condition humaine. Il convient de fixer des limites raisonnées aux soins de santé classiques. L'urgence s'impose de définir les devoirs qui nous incombent en tant qu'individus, ceux qui reviennent à notre communauté, et ceux que nous laissons à l'Etat. Oui, nous avons mal, nous tombons malade, nous mourrons, mais il est également vrai que nous espérons, nous rions, nous célébrons ; nous connaissons les joies de prendre soin les uns des autres ; souvent nous nous rétablissons et guérissons par divers moyens. Si nous supprimons l'expérience du mal, nous supprimerons du même coup l'expérience du bien. J'invite chacun à détourner son regard et ses pensées de la poursuite de la santé, et à cultiver l'art de vivre. Et, tout aussi importants aujourd'hui, l'art de souffrir et l'art de mourir.

 Source

dimanche 22 juin 2014

Méconnaissance - Les origines de la culture René Girard

Petite citation des origines de la culture montrant bien la question de la "méconnaissance" humaine sur ses leviers "sacrificiels", l'origine de la révélation et les risques du déploiement de celle ci.

Les origines de la culture p246 édition hachette pluriel

Ne pensez vous pas que cette méconnaissance actuelle est en quelque sorte un mécanisme de défense, au sens freudien ? Une dénégation qui voile une autocritique trop radicale de l'individu et de la société ? Ce qui, pour la société primitive, était une méconnaissance collective se mue en mécanisme de défense pour l'individu moderne : les erreurs de connaissance, et l'échec qui en découle, constituent des barrières psychologiques qui empêchent l'autocritique ouverte, et par là même l'effondrement de l'identité et des convictions individuelles.


Il y  a un parfait exemple de ce phénomène chez Proust : la grand mère du narrateur montre une certaine réticence à accepter que Swann lui soit socialement supérieur. Elle refuse de voir les faits qui détruiraient la foi et la croyance qu'elle a d'être hiérarchiquement au même niveau que Swann. Elle les rejette en se moquant de cet ami. Et cela se répète tellement souvent que l'on pourrait en faire un modèle anthropologique ! Je pense en effet que vous avez raison : on tient tellement à préserver des idées comme l'individualisme et l'autonomie du désir ! Et c'est la raison pour laquelle les mots "révélation" et "conversion" sont important pour la notion de mimétisme. 
On va vers l'effondrement de la pseudo-science dix-neuviémiste, tout entière fondée sur l'expulsion violente du religieux. Le véritable enjeu, c'est le christianisme, bien entendu, et il est si formidable que les résistances sont acharnées. On va bientôt s'apercevoir que tout ce qu'il y a de vrai dans la philosophie des Lumières, dans la science du XIXème siècle, qui est une critique imparfaite encore du religieux sacrificiel, tout cela vient aussi d'un christianisme pas encore complètement assimilé, mais qui, du fait même qu'il est de mieux en mieux compris, se retourne contre le religieux "sacrificiel" et contre les déformations et adaptations sacrificielles du christianisme, toujours encore systématiquement confondues avec la vérité de celui-ci. Le christianisme est donc aujourd'hui le bouc émissaire de... sa propre révélation.

dimanche 15 juin 2014

La marque du sacré de Jean pierre Dupuy 1ere partie

Et ici, la somme des chapitres...


Je souhaiterais commencer par ce poste mon suivi de lecture du livre incroyable qu'est La marque du sacré. (fiche de lecture pas mauvaise ici)
Résumé et autobiographie intellectuelle que nous offre Jean-Pierre Dupuy. Grâce à René Girard, il nous invite à regarder les traces du sacré qui existent dans notre monde moderne. Cernons l'auto-transcendance là où elle est et soyons des êtres responsables.

Sur ce post, je vous propose une lecture de l'intro et du premier chapitre. Je compte encore faire 6 notes sur les six autres chapitres.



En s'enlevant les dieux, les sociétés humaines se sont seulement enlevés les extériorités par lesquelles elles agissaient, désormais les hommes sont ainsi que le baron de Münchhausen se tirant hors du marais en se tirant par les lanières de ses bottes (ou par sa natte).

La raison garde la trace indélébile de son enracinement originel dans l'expérience religieuse. La science du religieux et de l'homme ne font qu'un. 
Dupuy nous demande de retenir une chose du sacré : L'ordre social contient la violence dans les deux sens du terme. Le mal se met à distance de lui même pour se contrôler et prendre la figure du bien. La panique est le moment où on ne fait plus la différence entre ces deux figures du mal. (Comme le sacrifice/le meurtre ou argent/crédit)

Or nous vivons un temps d'indifférenciation depuis 2008, quelle distinction entre le poison économique  et le médicament proposé ? La régulation n'a plus de sens. Nous sommes à la recherche d'un point extérieur. La loi  ? Comment peut elle être extérieur alors que nous l'avons créé. Tout bien de nouveau recherché ressemble au mal que nous voulons réfréner. 
La richesse n'est elle pas ce qui est désiré par celui dont nous recherchons le regard sur nous ? Nous sommes en pleines confusion des contraires mais ces crises sont programmés comme celles qui sont programmées  dans les phases spéculatives mais les rationalistes se rassurent en désignant des coupables, ils refusent de voir le trou noir où s'abolissent les différences et où s'engendrent par auto transcendance les sociétés humaines, or, il faut désormais penser ce trou !

Or le sacré est le mouvement du Satan expulsant Satan, de l’auto-extériorisation de la violence des hommes sous forme de rites pratiques et réussit à ce contenir elle-même. Elle est la création de la différence entre bonne et mauvaise violence. La modernité est remise en cause du sacré. Et si ces deux violences n'en faisait qu'une ???? 
(Question subsidiaire : Peut il y avoir savoir de l'auto-transcendance sans transcendance véritable ? Autrement posé Dieu existe ou non ? Girard répond oui, Dupuy non... Mais ce n'est pas le sujet du livre...)
Le sacré contient la violence dans les deux sens du termes. (ex de la bombe atomique)

Il en résulte que l'impuissance des rationalismes contemporains à appréhender la forme de l'auto transcendance ne fait qu'une avec la dénégation qui les constitue : le refus d'admettre que les rationalités qu'ils mobilisent s'enracinent dans l'expérience du sacré.
C'est donc l'objectif du livre retrouver le sacré là où il n'y a que le voile de la rationalité à se montrer. L'humanité se fait tracter  par une vision de l'avenir qu'il a projeté en avant de lui-même.

Or dorénavant, la perspective de l'apocalypse est plus que jamais nécessaire pour saisir le monde et ses changements




Chapitre 1 penser au plus près de l'apocalypse


Le monde va à la catastrophe. Le mal est en nous et même dans nos actions et dans ses conséquences inattendues. Notre développement basée sur la technique nous conduit à la mort. Nos seules solutions ne répètent que le "plus de" dont nous ne cessons mourir. Les prophètes de malheur ne sont pas croyables. Notre monde économique ne voit que l'avenir sous le prisme de l'évolution des prix et des raretés futures, nous ne voyons plus les autres risques. Le risque n'est pas visible pour une communauté tant qu'elle y voit des solutions.
Dupuy explique son concept de catastrophisme éclairé, ne parlons plus de moral aux hommes pour la protection écologique, cela ne conduit qu'à l'écolo fascisme, or nous ne voulons pas survivre pour survivre ni sacrifier notre autonomie morale. La crise doit être au contraire le lieu de la reconquête du sens.
Nous devons arrêter de croire à la neutralité technique, elle participe, elle aussi à l'action des hommes et au déclenchement de processus non voulu et non choisi. Arrêtons de vouloir nous sauver de la technique par la technique. Exemple d'apprenti sorcier par dessein avec le désir de perte de contrôle.



La crise que nous vivons est apocalyptique car elle révèle la violence des hommes. Dupuy cite l'évangile de Marc (13) il montre comment Jésus démystifie l'imagerie apocalyptique (tsunami et tours écrasées). La révélation n'est pas la fin pour le chrétien, elle est toujours au centre de l'histoire avec la Passion, mais la fin appartient à l'éternité, nous pourrons en parler seulement au passé antérieur. Tout aura toujours déjà pris un sens. Veillons à ne pas être fasciné. Projetons nous dans l'après catastrophe et voyons les destins que nous pouvons écarter.

Car finalement, Dupuy l'affirme, seule la religion nous permet de bien mettre des mots sur notre monde moderne, Dupuy propose un voyage entre Ivan Illich et René Girard deux philosophes qu'il a bien connus (voir ici aussi pour plus de précision), ces deux hommes tombent sur un désaccord le monde moderne est travaillé par des idées chrétiennes avec un message corrompu. Dupuy rappelle le concept de contre productivité, à partir d'un moment pivot, les institutions génèrent l'inverse de ce pour quoi elles sont faites (les télécommunications rendent sourds et muets, la médecine détruit la santé, etc...). Dupuy pose la question, comment n'avons nous pas encore compris que les biotechnologies sont des promesses auto destructives de la santé physique et intime de l'homme. Nous ne donnons plus sens à la vie à la mort, à la finitude humaine, nous sommes des technocrates de nous mêmes. Nous ne sommes pas un problème en attente de solution technique. Or le mal, ici est invisible. Méfions nous seulement des cléricatures et des industriels du bien, de ceux qui travaillent aux salut des autres hommes malgré eux. Illich nous prévient, le mal s'autonomise par rapport aux intentions de ceux qui le commettent. 

Girard, lui est l'insensé qui dit que l'histoire a un sens, la science de l'homme est possible et c'est la religion qui le permet et le Christianisme possède le savoir sur le monde humain. Le geste humain est de faire des dieux en faisant des victimes, la foule en délire fabrique du sacré et de la transcendance. Mythes récit des persécuteurs et évangiles de la victime.
Et ensuite le monde moderne arrive, "faire toujours plus de victime ou renoncer au mécanisme victimaire" tel est son dilemme. Or dans un système en globalisation, les violents se ressemblent à force de vouloir se différencier, la globalisation est d'abord un événement religieux. (pour ces intuitions voir la violence révélée de Gil Bailie)
La dernière partie du chapitre rappelle le chemin intellectuel de Dupuy, il commence à faire un parallèle entre Einstein et Girard, il déplore la disparition de l'honnête homme, les sciences dures, invitation à revoir le système universitaire qui fait des spécialistes sans mémoire de la longue distance. Final contre Rawles et la perception d'une humanité de "zombies raisonnables étrangers au tragique de l'existence". Ne pas voir le mal est toujours s'en rendre complice. 
Dupuy conclut finalement, tout mon chemin intellectuel fut de retrouver la marque du sacré !!


dimanche 8 juin 2014

Le Salut du Christ par Girard


Encore un extrait de quand ces choses commenceront après ces deux premiers. ici et .
Ce nouvel extrait tente de montrer en quoi la théorie girardienne complète le dogme catholique et rend honneur au Saint Esprit.
Pour développer cette question, lire "Avons nous besoin d'un bouc émissaire" de Raymund Schwager




Quand ces choses commenceront Page 157 

Question : Pourquoi fallait il que le Christ meure ? C'est le dernier sacrifié, non coupable, avant l'abandon des systèmes sacrificiels ?




Remarquez, les autres victimes antérieures n'étaient pas coupable non plus... Le Christ meurt parce qu'il refuse de se soumettre à la loi de la violence, il la dénonce dans tous ses propos, et les hommes, en refusant sa Révélation, forcément retournent leur violence contre lui. Ils font jouer contre lui la loi du mimétisme violent. Ils font de lui un bouc-émissaire de plus. C'est le soubassement anthropologique de la Passion, et ce n'est rien de plus. S'il n'y avait que de l'humain dans la Passion, la voix du Christ aurait été étouffée, ou il serait devenu une divinité païenne comme les autres, un bouc émissaire sacralisé. Sa parole vraie ne serait pas parvenue jusqu'à nous.

Si sa voix a été entendue, si les disciples se sont ressaisis et si, au lieu de se joindre aux persécuteurs, comme ils commençaient à le faire au cours de la Passion, ils ont finalement proclamé l'innocence de Jésus, c'est grâce à la résurrection et au Paraclet qui leur a enseigné la vérité. La dimension proprement religieuse réclame de nous un assentiment religieux dont nous serions incapables, dit le dogme, sans la grâce divine. Le Christ est donc mort pour nous sauver, pour nous mettre en état de profiter de cette grâce. Dieu demande à tous les hommes de se conduire comme Jésus., c'est à dire de s'abstenir de violences et d'annoncer le Royaume. Cette adhésion religieuse, notre petite raison n'y accède jamais seule, mais nous en voyons la rationalité, et celle de ses effets. Nous voyons que les mythes deviennent lisibles. Nous voyons que les violences structurales reculent, même si les violences anarchiques progressent à nouveau.

En constatant ces résultats nous voyons bien que Jésus n'est pas une divinité archaïque, un bouc émissaire sacralisé. Ce qu'il nous apporte ne peut pas venir des hommes, ne peut donc venir que de Dieu. C'est pourquoi le dogme affirme que le Christ est non seulement homme mais Dieu né de Dieu de toute éternité. Ce n'est pas en tant que bouc émissaire des hommes que Jésus est divinisé. Les gens qui s'imaginent que la divinité du Christ est le résultat de la Passion sont dans le mythe, le Christianisme dit le contraire. Comme la Lumière il est à la fois ce qu'il nous faut voir et ce qui permet de le voir

mercredi 4 juin 2014

le travail invisible de Pierre Yves Gomez

J'ai rencontré, il y peu, le travail de Pierre-Yves Gomez, je suis marqué par le calme de son écriture en comparaison de la véhémence de ses horizons. Clarté, Révolte et profonde paix émanent de sa voix et de ses écrits. Lucidité et espérance.
Vous trouverez ci dessous un résumé de "Le travail invisible" paru en 2013.
Voici sinon, un article et une bonne interview audio.


Gomez veut expliquer la différence entre la réalité du travail et l'illusion de l'économie financiarisée. Après les miracles de la croissance, nous avons perdu le sens du travail humain comme source de la création de la valeur économique. C'est cet escamotage et cette disparition qui explique le mieux notre crise économique selon notre auteur.


I Diagnostic
A Mouvement économique
Gomez explique qu'à force de vouloir créer un Athènes sans esclave, nous avons créé une société de rente illusoire, défigurant la notion de travail car ignorant son origine, il en vient une dramatique auto exploitation, le rentier et le travailleur étant le même.
Quelle est l'origine de la situation ?
Il y a d'abord des petites lois, semble-t-il innocentes, l'indépendance des fonds de pension d'avec les entreprises, libéralisation des opérations du NYSE, ces deux décisions changent radicalement l'orientation de l'épargne, naissance de l'industrie financière moderne, explosion des perspectives d'épargne. Paradoxalement, cette afflux d'épargne géante irrigue les plus grandes entreprises, on veut peu de risques et l'argent appelle l'argent. On fabrique des idoles pour leur amener de la croissance.
Mais qu'avons nous fait de l'épargne de ce nouvel age d'or ? Qui sait vraiment, car il n'y a pas de grand allocataire, le "marché" le fait très bien. Marché, grand gestionnaire indépendant, boite noire pure et parfaite ?
Finalement pas vraiment, Keynes a montré qu'elle est un jeu de miroir (spéculum)
la décision du marché se fait par rapport aux autres et à ce que l'on pense être leurs décision.

L'industrie financière produit mécaniquement par imitation des comportements collectifs spontanés. L'argent est dirigé vers les entreprises jugées comme les plus prometteuses. L'entreprise doit séduire, pas seulement les bénéficiaires mais "plus que les autres". Comparer, anticiper le mimétisme du concours de beauté qui se déroule des deux cotés. Les concepts deviennent mimétiques et se transforment en croyance.(technologie, penser global, innovation etc..)

"Finalement comme en Espagne de la Renaissance, l'afflux d'or a produit de grandes armadas guerrières."

Donc, l'allocation des ressources est du à un jeu de miroir double, on s’intéresse de moins en moins aux entreprises mais à l'attente vis à vis de celle là. Le rêve de la rente conduit à une situation ou l'échange devient plus important que ce qui est échangé et plonge les entreprises dans une guerre économique qui conduit le monde vers un grand élan de l'innovation, arme fatale de la guerre et conduisant les entreprises à devoir courir deux fois plus vite que ce que tout le monde essaie de faire. Toujours plus de vitesse, de consultant, de court terme, de gros mangeant des petits, d’obsolescence de produits qui ne seront jamais profitables...
Cette situation s'accompagne aussi du délire des plus riches, l'explosion des rémunérations n'est que le signe d'un nouveau pouvoir, élite financière traversant les marchés, maitrise technique et mimétique, abstraction et vitesse, ils ont imposé des repères et créé des barrières.

Au départ, la finance est utile, elle permet le paiement des ressources avant la production. La financiarisation, c'est le moment où la finance ne devient plus un moyen mais un enjeu, elle tient son pouvoir de l'idéal de rente généralisée. Les gestionnaires donnent le "la" de la rentabilité. La promesse faite aux rentiers met la pression sur les entreprises mais l'absence longue de profits met le système en danger. Les fonds exigent une rentabilité a priori. Ne nous braquons pas trop vite sur une lutte actionnaires-travailleurs, ce sont pratiquement les mêmes. La vraie distinction est entre l'oligarchie et les autres.

Le propre du capitalisme n'est pas l'économie de marché mais l'accumulation du capital. L'administration et le management organise cela pour l'oligarchie avec l'aide de la SI et du contrôle de gestion. La financiarisation ne tombe pas du ciel, oligarchie + gestion + tendance peccamineuse du capitalisme.

B Conséquence sur le travail : le travail invisible
Bref on assimile le travail à sa contribution au profit. La bureaucratie devient le système rationnelle du contrôle par l'économie. Le mouvement s'est fait avec l'abstraction de la compréhension de l'activité et de la réalité, l'informatique, maitrise du temps et compétence spéculative, sabir d'initié, le manager veut et croit tout contrôler au doigt et à l'oeil, le cadre intermédiaire doit appliquer la logique financière dans le travail. Le mépris inter-classes saupoudre le tout. Les entreprises sont prises au piège du mimétisme, adaptation ou mourir.
Mais pourquoi, la roue de l'économie tourne-t-elle encore ? 

-L'ignorance entretien la confiance d'un contrôle.
-Prospérité remarquable pendant trente ans, tout critique est un pisse-vinaigre !
-Attrait de l'esprit de rente (instinct de survie, sécurité notamment)
-La consommation de soi maintenant l'adhésion au système ( Citation du daily reckonning : Toute l'économie mondiale dépend du consommateur ; s'il cesse de dépenser de l'argent qu'il n'a pas pour des choses dont il n'a pas besoin, nous courrons à notre perte)

Il faut surtout de la confiance, la dette publique est exposée sur la bonne santé de l'économie, les prix réels deviennent ceux du marché et de la spéculation. La croissance éco est entrainée par la croissance de la dette, gagée sur la croissance des entreprises qui assurent la croissance éco. Jeu de miroir infini. Plus on avance plus la roue tourne. Gomez compare alors l'économie financiarisée avec la roue de l'écureuil. Les promesses de rente aux actionnaires ont été récupérées par les prolétaires. Ceux ci cherchent à obtenir une rente perpétuelle sur les entreprises qui la paient en exploitant leur travail. Et tourne la roue. On s'efforce de vivre au dépens de tous...

Il arrive nécessairement la crise, il faut la comprendre dans la vision globale de la rente, il faut diagnostiquer l'évidement général de sens et l'exploitation du tous par tous. De plus l'élite n' a pas réagi car perdu dans sa dé réalité (mondialisation abstraite contre monde), décision prises dans concept déréalisant, les mêmes recettes connues deviennent les problèmes en question, l'élite ne connait pas la sortie de l'économie du miroir.
Regardons le monde réel et observons le travail
Le mot actuel est né de l'industrialisation, outil de la politique libérale et individuelle. Est devenu travail seulement ce qui l'est reconnu par l'entreprise et l'administration. Le travail est devenu une marchandise comme une autre. Cela a souvent conduit vers moins de précarité et des alliages menant a de grandes prospérités.

De plus le travail est perçu comme une malédiction, peine à éviter. C'est la vision doloriste du travail. Vision qui va à l'encontre de la conception biblique quand on la lit bien où l'homme participe à la création. Le péché lui a retiré son dessein, l'homme devient concentré sur son effort que sur sa responsabilité. Le paradis n'est pas représenté comme celui des oisifs rentiers ?
Le travail n'est qu'un mauvais moment pour une perspective de loisirs. En altérant le travail, on peut y altérer l'homme.

Gomez compare les pensées de Simone Weil et de Hanna Arendt. Il commence à voir ce qui les distinguent, Arendt met en valeur le travail comme lutte nécessaire contre la nature et l’œuvre, acte du génie humain alors que Weil ne met aucune distinction, l'homme est corps et esprit incarné, le travail est la source d'un engagement, il est humanisant s'il est incarné. Il ne faut pas dégager du temps libre pour le travail mais il faut créer les conditions d'un travail authentique, un travail intelligent avec conscience de lui même.  Est asservi, celui qui ne sait pas pour quoi ni pour qui il travaille et qui ne peut ressentir aucune fierté de l'ouvrage qu'il accomplit. Le temps libre est au service du travail. Travailler parce qu'il le faut bien devient un esclavage surtout si cela est pour l'économie de la rente. Il faut désormais comprendre le travail comme la personne au travail et le mettre au centre de la société politique pour éviter de ne rester qu'avec la douleur, la rente et les vacances.


II Analyse par les trois sources de la création de valeur du travail
Gomez rappelle quelques bases pour comprendre le travail.
Le travail est toujours une expérience objective, subjective et collective.
Subjective car elle transforme le sujet, elle créé une valeur économique car personne valorisée par la reconnaissance.
Objective car le travail produit quelque chose inscrit dans la réalité commune, ce n'est pas une autosatisfaction narcissique, cela se traduit par un résultat objectif traduit par la communauté.
Collectif car le travail tisse des liens et il est bon d'appartenir à une communauté.

Le travail réel ? Il est vivant, pénible, fatiguant mais stimulant et enrichissant., source de reconnaissance, objectivée par la performance et collective par solidarité

Après avoir délimité ces trois dimensions du travail, Gomez affirme que le travail moderne souffre d'une hypertrophie de sa dimension objective. Le travailleur vaut ce qu'il réalise dans le système rationalisé. Le travailleur est une variable d'ajustement, affaiblissement du faire ensemble, stratégie personnelle. La crise s'annonçait par l'essoufflement du travail. Le manager est mangé aussi par l'hypertrophie d'objectivité.
Perte du réel, écran technologique et fuite vers toujours plus de même chose. (innovation, compétition, rentabilité, abstractions...) Parler de la crise financière, c'est parler de ce qui nous démange mais le mal c'est la dévalorisation du travail. L'économie de rente a rendu le travail invisible et les élites aveugles. Elles se désespèrent du cout du travail alors que c'est la philosophie du travail qui pêche.


III Quelques solutions....

-Reconnaitre la gratuité
-Soigner le travail subjectif (personne ne se lève le matin pour une marge opérationnelle)
-Rechercher des élites responsables du bien commun, qui donnent les directions. 
-Retrouver le sens de ce que nous faisons.
-Savoir être fier des autres
-Stopper le désir névrotique de tout contrôler.
-Gratuité, sens, fierté, leader sensible au bien commun à accueillir 
...et tenter de définanciariser l'économie.

Comment faire pour définanciariser l'entreprise ?
-Redécouvrir le travail humain comme vraie source, le travailleur doit s'extraire des normes et des jeux de miroirs spéculatifs
-La subsidiarité : accepter que les travailleurs ne sont pas des idiots. La vraie délégation du pouvoir se fait du bas vers le haut (Saint Thomas d'Aquin : corriger si il y a du désordre, suppléer si il y a un manque, parfaire si quelque chose de meilleur peut être fait. S'interdire de faire ce qu'un échelon inférieure pourrait faire.
-Co-détermination, veille et supervision des décisions essentielles (et éviter la sur représentation d'oligarques dans les conseil d'administration)

Conclusion
L'économie est morte à force d'abstraction. Le travail est au centre du malaise, prenons de nouveau le travailleur en considération et arrêtons les rêves d'une Athènes sans esclave, refusons aussi tout dolorisme. Le travail est il une malédiction ou un processus d'hominisation ???
Le travailleur est il un paria servile ou un homme libre et actif ?
Il est urgent d'organiser de nouvelles solidarités alors que les retraites ne sont que des illusions. Il est bon qu'il y ait des rentes mais arrêtons de baser nos vies dessus !!

La crise nous convoque ! L'économie du travail vivant reviendra!