jeudi 26 septembre 2013

Manent contre Girard

Voici un texte du célèbre Pierre Manent, philosophe disciple de Raymond Aron. Il est chrétien et libéral et développe une pensée politique très respectée. Il écrit ici dans la revue commentaires au début des années 80 sur René Girard, surtout en réaction à la sortie du dernier livre de l'époque, "le bouc-émissaire".

Commençons par le résumé



René Girard est pour Pierre Manent un grand espoir déçu. Un talent gâché qui a du mal à supporter la contradiction alors qu'il pense avoir trouvé la vérité.
Au départ Manent se concentre sur le dernier livre écrit à l'époque par Girard et qui résume une habitude que Manent conteste. A partir des textes de persécutions comme ceux de Guillaume de Machault où l'homme moderne distingue la persécution mal camouflée derrière le récit d'accusations, Girard a transporté cette méthode sur les textes ethnologiques. En trouvant les clichés de persécution, nous pourrions lire finalement le récit maquillé d'un meurtre. Girard invite à réaliser cette démarche moderne pour les mythes et tous les récits afin d'y retrouver les crises d’indifférenciation, l'imputation de la catastrophe sur un bouc-émissaire et ainsi par là trouver le rapport, encore jamais perçu entre persécution collective et la culture. La mythologie ne serait alors que la communication d'un sacrifice réel mais caché car écrit par les persécuteurs. Ensuite, l’Évangile témoignerait du point de vue du persécuté, ce qui ferait sa principale différence. Manent s'oppose à cette démarche, car la reconnaissance d'un cliché est un savoir pauvre dont la chasse dans les textes du passé ne ferait que les appauvrir. Un stéréotype demeure un stéréotype. La proposition de Girard est absurde et au mieux, donc, un appauvrissement, la forme mythique et dramatique ne serait qu'un emballage.

Manent se demande comment Girard en est venu à cette extrémité. il en profite pour dessiner un résumé de sa thèse et vient la contredire par trois bouts différents.

Thèse de Girard
Manent souligne son accord avec le désir mimétique tel que Girard a pu le définir dans Mensonge romantique et vérité romanesque. L'individu est victime de sa croyance en son autonomie. Sans médiation claire et haute, l'individu prend modèle sur ses plus proches, il se transforment tous en obstacle susceptible de violence. Girard à la suite de Tocqueville décrit la psychologie de l'homme démocratique. Manent regrette que Girard n'ait pas creusé plus l'histoire des sociétés et de leur médiateur transcendant ou alors préciser la nature du désir.
René Girard a en effet rencontré Freud et Lévy-Strauss sur son chemin. il pense les avoir vaincu sur leur terrain. Le complexe d’œdipe est seulement un signe d'indifférenciation et un exemple historique de la tendance à la remise en cause paternelle. A coté de cela, la circulation des femmes n'a pas pour origine des règles affirmatives. Ambitieux, il annonce sa théorie du sacré "contenant" la violence, le sacré est le support de toutes les différences culturelles mais le christianisme dénonce cette béquille du sacrifice victimaire et empêche petit à petit les hommes de se servir de celle-ci en en dévoilant la violence.

Cette thèse est fausse selon Manent pour trois raisons

1 Piège d'une théorie de la culture
Girard propose une théorie de la culture. (Girard est méfiant de tout sauf de lui-même) Il existe, pour lui, un chemin vers l'hominisation constitutif du chemin vers le sacré de l'homme et de libération chrétienne. Mais c'est une théorie qui présuppose l'homme qu'elle voudrait déduire. Puis toute tentative d'une théorie de la culture est contradictoire et recherche à s'enfuir de la nature ou de Dieu.

2 Théorie pseudo démystificatrice
Girard s'inscrit dans la ligne des maîtres du soupçon. Mais d'une certaine manière, on ne sort jamais du soupçon. La désaliénation de l'homme signifie toujours son abolition. Pour Manent, Girard se rapproche, parmi ses maîtres, de Machiavel. Celui-ci sait que la violence est constitutive de la fondation de la cité. Il continue et affirme qu'il faut veiller à préserver ce bénéfice et empêcher les hommes à détruire celui-ci par la non-violence intempestive du Christianisme qui tendrait à détruire les conditions même de leur humanité.
Les sacralisations seraient plus savantes que la science réaliste. Girard met un signe positif là où Machiavel met un signe négatif. Manent penche pour Machiavel :

Si la "culture" humaine est fondée essentiellement sur la violence, alors le christianisme ne peut rien apporter d'autre que la destruction de l'humanité sous les apparences fallacieuses de la non-violence.

3 Un christianisme de ténèbres.
Girard connaîtrait mieux le catholicisme que la foule des théologiens et fidèles le précédant...
Le christianisme de Girard serait une révélation de la violence des hommes et leur nature mauvaise, non par péché mais par elle-même. Girard réduit le péché à la violence. Cela devient un manichéisme pourvu de la neutralité axiologique des sciences humaines. La grâce détruit la nature, elle ne fait que l'humilier en leur montrant les ténèbres qui ne font que l'entourer.

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Ce texte est passionnant et est l'expression d'un homme passionné et surement un peu en colère.
Mais, nous avons l'impression de lire un texte qui réfuterait Girard par l'absence ou la minoration du politique dans une thèse de sciences sociales. C'est ce qui ressort de l'introduction du texte contre les stéréotypes. Il reproche à cette chasse aux stéréotypes un appauvrissement des textes ethnologiques. Peut on affirmer, au contraire que Girard met en avant la dimension sacrificielle au cœur des préoccupations des textes anciens et explique tel Durkheim, combien tout le reste des science sociales découlent de celle-ci. Pourquoi se priver de la source et de dire d'elle qu'elle n'explique rien. Cette recherche de stéréotypes ne vient elle pas d'un souci des victimes cachées depuis la fondation du monde ? La politique n'est elle pas descendante de la religion ?

Sur l'impossibilité d'une théorie de la culture, Il me semble que Manent enferme Girard dans une renonciation de la nature humaine qui ne ressemble pas à la tentative de Girard de comprendre l'humain et la manière propre à l'humanité de fonder la culture.

Son argument machiavelien est par contre très intéressant. Girard semble y répondre avec le livre Achevez Clausewitz. Ce qui disqualifiait le christianisme devient son objet de gloire. Ce qui devait être tu pour le bien des hommes et la survie de leur société devient l'argument de sa force. N'y a t-il pas plus de sagesse chez ceux qui ne révélerait pas la violence de la fondation ? Girard répond que le christianisme est apocalyptique et met en danger la paix des sociétés fondées sur la violence pour les conduire vers la préparation du royaume de Dieu. Girard renvoie la politique (Girard aurait dit dans une conférence COV&R, que politiquement, il était athée...) comme conséquence du religieux et donc ne le met pas comme alpha et omega de la réflexion humaine. Ce qui est fou pour le monde est la sagesse de Dieu. De plus, la révélation est lancée, qui peut vraisemblablement la cacher éternellement. On sent que Manent oppose Machiavel à Girard sans croire fondamentalement l'observation commune de ces deux penseurs. Cela peut présenter Manent comme très distant envers le thème de la violence.

Enfin et en conséquence du second argument, Manent pense que Girard est un chrétien hérétique. Il confond le péché avec la violence. La nature humaine est mauvaise sans pouvoir vraiment y résister. La gràce de Dieu est écrasante.
Il est vrai que Girard donne une place très forte à la violence mais il la voit comme la conséquence naturelle du péché. Il me semble que pour lui le désir mimétique est le signe de la nature humaine, il est ce qui permet une rencontre avec son créateur, le remercier et lui permet d'établir une relation gracieuse avec lui. Le péché originel devient la perversion de ce désir mimétique. Girard a dit que la violence veut imiter l'amour de Dieu (Je recherche la référence, je ne la trouve plus pardonnez moi pour l'oubli temporaire...). Ainsi nous pouvons voir à quel point la perception de Girard permet de continuer à voir la grâce de Dieu comme guérissante et réalisatrice. Il n'y a plus de gnose, manichéisme, ni de culpabilité humaine, ni de nature humaine mauvaise mais une nature humaine pervertie qui attend sa guérison, sa lucidité et le chemin du plein retour de la communion avec le créateur.

On peut penser que le dernier livre de Girard, Achever Clausewitz, est une réponse à Manent et à Aron. Tout comme cette vidéo.





Plus tard, Manent a développé sa critique. Girard ne permet pas de penser la subtilité des régimes politiques, il en deviendrait dangereux... Interesting et à développer aussi...

Pour continuer la question, je chercherai à me procurer ce livre qui semble attaquer toutes ces questions.


Sur Machiavel, à lire ceci et cela

mardi 24 septembre 2013

Gaël Giraud - Transfert de capitaux et création de valeur


Article radical et très intéressant de Gaël Giraud.


A partir d’une phrase du cardinal Bergoglio, il développe la thèse de l’aspect peccamineux de tout transfert de capital. Les lois sur ces transferts sont pourtant à la base de la construction européenne libre-échangiste. Mais le doux commerce se découvre aussi poison (distension du lien social, appauvrissement des salariés...)

Il relativise les avantages comparatifs chers à Ricardo et aux défenseurs du modèle, donne certains exemples (Chypre et Indonésie). De plus, il reprend la proposition de Bergoglio avec la notion de communauté productive de richesse.

Transfert fiscal, transfert de capital, c’est toujours oublier ce que les surplus de richesse doivent toujours en partie à la communauté qui a permis cette richesse. De plus, derrière toute création de richesse, il y a toujours la création de monnaie par les institutions bancaires du pays.


Or, (et Giraud pense qu’il faut institutionnaliser cette connaissance) l’argent est créé par les crédit (et donc la foi), l’effort et le travail d’une communauté, cette création est marquée par l'existence d'une communauté. Cela permet de voir en quoi tout transfert de capital est perceptible comme un vol. La monnaie créée par la banque est un bien commun.


Mais disant cela, beaucoup de questions arrivent.... Banque, communauté, vol, bien commun, frontières....




Bergoglio affirmait avant d’être pape que la circulation des capitaux était un péché dans bien des cas... Interrogeons donc la territorialité de la valeur.

« Le christianisme condamne aussi sévèrement le communisme que le capitalisme sauvage. La propriété privée est un droit, mais l’obligation de la socialiser de manière équitable l’est tout autant. Un bon exemple serait la fuite des capitaux car l’argent, quoi qu’on en dise, a une nationalité et celui qui place à l’étranger l’argent produit par une industrie de notre pays commet un péché. Il n’honore pas l’endroit qui lui a permis d’acquérir cette richesse ; il n’honore pas le peuple dont le travail lui a permis de la posséder. »
Cardinal Bergoglio, discussion avec Abraham Skorka


Pour mieux connaître Gaël Giraud, voici un article et une ancienne note.


Un long article sur le même sujet 






Resumé plus long de l'article:

dimanche 22 septembre 2013

Saint Philippe comme Saint Patron de l'Evangelisation moderne

Avant d'écrire cette note je pensais que le Philippe des Évangiles et celui des actes des apôtres étaient le même... Il semble que non, après de légères recherches il y aurait l’apôtre (dont on a retrouvé la tombe il y a peu) et le diacre.
Mais bon, pendant un instant, regroupons les et tentons de trouver les caractéristiques principales de mon Saint Patron et tentons de définir cet apôtre relativement discret et dire pourquoi ce blog tente humblement de marcher sur ses pas.

Tout d'abord, il est présent à quatre passages dans l’Évangile de saint Jean. (1, 29-57 ; 6, 5-7 ; 12, 20-28 ; Jean 14, 8-...)

plusieurs éléments apparaissent,  traînant avec les disciples de Jean Baptiste, Jésus le rencontre directement. Peu après il fait le lien entre Nathanaël et Jésus. Pour cela, il utilisera les mêmes mots que Jésus. Viens et voit. Il refera le lien avec Jésus dans le chapitre 12 entre les grecs et Jésus. (tout en passant par André.)

Par deux fois aussi, il est le "boulet". Il est celui qui ne prend pas la mesure de celui qu'il a pourtant suivi. Il semble paniqué d'abord avant le miracle des pains. L'argent ne suffira pas pour tous ceux qui ont suivi le Christ. (métaphore filée de l’Évangile entre l'argent et Jésus Eucharistie....). A la table du dernier repas, il demande à Jésus de voir le Père. Jésus est atterré.... Mais enfin Philippe, qui m'a vu, a vu le père...

Sous réserves donc, Philippe revient aux actes des apôtres. Il évangélise la Samarie (Actes des apôtres 8, 5) puis évangélisera le fameux eunuque éthiopien. (Actes des apôtres 8, 26). Je lis actuellement la violence révélée de Gil Bailie qui fait une magnifique lecture de cet épisode.

Pour Bailie, cette conversion de l'eunuque éthiopien montre la capacité révélatrice de la croix auprès de personnes éloignés de toute tradition judéo-chrétienne.
Cet homme cultivé lit Isaïe, l'extrait du serviteur souffrant (Isaïe 52,13-53,12). Passage s'approchant de ce que Philippe vient de vivre à la crucifixion de Jésus. Ce passage dénonce la violence et lui dénigre toute justification religieuse.
La rencontre de l'homme qui vient d'être témoin de la passion et celui qui connait la violence mythique fait des étincelles auprès de la Bible ouverte. Si l'éthiopien demande le baptême nous comprenons qu'il a été touché au cœur de sa vie et de son expérience. Comme Philippe, nous sommes appelés à utiliser la croix pour comprendre la Bible et pour comprendre le monde qui nous entoure et pouvoir faire vivre en chacun la révélation chrétienne.

Après ce tour d'horizon, je distingue un Saint Philippe curieux et un modèle qui m'est particulièrement montré. Chemin relationnel vers le Christ, un garçon pouvant être à coté de la plaque, (symbole du chrétien croyant connaitre le Christ, mais dont la conversion est sans cesse nécessaire) mais malgré tout un modèle d'évangélisation moderne. Il révèle l'impuissance de l'argent à combler les hommes,  il aide les gens à lire leur vie et le monde grâce à la lumière de la croix.

mardi 17 septembre 2013

Sapir, Lordon et la nation

Intéressante conversation de deux hommes de gauche très compétents et respectés dans leur recherche économique et connus comme lutant contre le système économique actuel qu’ils appellent néoliberal. 
Ils ont en marre d'être doublé par le FN sur les questions de nation et de souveraineté nationale. Lordon dit, il y a une nation de droite, elle est mystique et met en avant la communauté alors celle de gauche reste sur l’individu, la rationalité.  Le devoir commun repose sur le paiement des impôt. Le bien commun d’une république, c’est la caisse commune et d’une certaine manière l’activité qui lui est liée. Le nation de droite respire la xénophobie, l’ethnicisme et refuse la lutte des classes qu’elle est prête à sacrifier pour l’union nationale. 




Sapir lui repondra peu après. S'il met en avant ses accords (piquer la nation au FN, nation non ethnique) avec Lordon, on sent qu’il veut tout reprendre. Il n’y a qu’une souveraineté et elle est toujours mystique car nous en sommes héritiers par le temps long quel que soit nos désirs de changements sociaux rapides. Elle est construction sociale qui doit être fondée sur le bien commun (res publica) qui sont les activités rémunératrices (la caisse, one more time) et les lois communes. Cela est la perception de gauche de la nation, mais la seule encore possible et légitime car laïque et non religieuse comme l’est toujours peu ou prou la nation de droite... 




Sapir reprend le cours historique, nous devons cet état laïc à Jean Bodin. Au 16ème siècle, face aux guerres de religion et à l’impossibilité de retrouver l’état rêvé de la droite qui est un état, une loi et une religion, il définit cet état car on ne peut convaincre par la raison de la vérité d’une religion.
Ces deux articles me sont terribles à lire. Ce sont des articles d’honnêtes hommes, cultivés, intelligents, brillants et ayant fait leur preuve. Personnellement, je vois qu’ils ont bien ciblé l’ennemi (ou plutôt le destructeur) mais leur vision offre t'elle plus que le FN ?

Lordon parle d’une nation comme construction sociale évidente et dont toute réconciliation et sentiment religieux est absurde et inutile. Il démontre par là un impensé gauchiste qui pense que toute communauté se fonde sur contrat social entre gens de bonne volonté, on paye ses impôts et tout va bien dans le meilleur des mondes. Tout le reste est inutile et donc tout est de la faute de l’oligarchie patronale. C’est une "sacré" illusion sur ce que peut être une communauté. 


Sapir se rend compte que son ami se plante. Il répond, n’oublie pas la part d’héritage que nous le voulions ou non. N’oublie pas la racine religieuse des nations. N’oublie pas qu’il n’y a pas de nation, de communauté, de souveraineté sans frontières. La caisse commune comme bien commun est insuffisant. Il faut les lois.

Il introduit ensuite la naissance de la perception de gauche de la nation par Jean Bodin et par la guerre des religion. La république est ce pis aller pour un monde où les nations sont impossibles, non parce que les conflits sont devenus inarrêtables mais parce que la religion ne peut plus relier intellectuellement la société.


Malgré la plus grande finesse de Sapir, finalement, ces deux auteurs sont le signe de la méconnaissance de la fondation d'une nation et de sa survie, des théories girardiennes, et signe de l’individualisme moderne, ils ne savent plus ce qui fait société (cela est éclatant pour Lordon). Ils ne voient pas la crise culturelle de la modernité que le christianisme apporte en ne permettant plus aux communautés de s’unifier par les rites sacrificiels. La droite peut être ce qui est tentée de renouer ces rites et en effet le FN peut être le parti de cette tentation illusoire et violente mais la gauche est ce parti qui par refus légitime de la violence mais par une anthropologie limitée se refuse de voir la crise culturelle auquel nous faisons face et ne se donne pas les moyens de réfléchir l'unité de la communauté (Ou en est même dégoutté, comme Lordon). Sapir après Bodin et avec toute la modernité voit la religion comme la violence dont il faut se protéger. La laïcite demeure ce quiproquo. Les guerres de religion étant une crise de rationalité de l’Europe ainsi qu'une crise mimétique. Elle fut aussi le premier signe d’une crise culturelle dont nous vivons encore les conséquences. Sapir et Lordon ne voit pas que ce modèle laïc est en crise lui même en consolidant les tendances individualistes à la source de la crise mimétique d’indifferenciation que nous vivons.

Girard pense que le premier bien commun, c’est le premier objet sacré fondant la communauté découvrant la paix du groupe. Le cadavre de la victime émissaire. Pour les Chrétiens, le bien commun, c’est le corps du Christ. Les chrétiens dans leur propre patrie se fondent dans leur communauté nationale sans illusion sur ce qui peut fonder la société dans laquelle ils vivent. Ils tendent à vivre et à inspirer un société qui ne serait fondé que sur l'Eucharistie. (Tout en sachant qu'aucune société 100% catho n'y a vraiment ressemblé). La république est curieusement ce qui arrive quand la chrétienté refuse de s'entendre sur l'Eucharistie et la possibilité pour elle d'être le bien commun unificateur. Sapir a de belles intuitions mais continue de voir le problème sur la rationalité impossible de la religion. Ce qui n'est pas tout à fait juste mais est le signe de la culpabilité religieuse pour bon nombre d'européens depuis la réforme...

Paradoxalement, ce sont les temps de minorité que vivent actuellement les chrétiens qui  peuvent que nous permettre de prendre de la distance avec de nombreux malentendus et nous faire réfléchir sur ce qui fait communauté et bonheur de l'homme.

J'ai bien peur que la caisse commune et des lois démocratiques communes ne seront jamais des choses communes comblantes et efficaces. Les communautés nationales "s'hoteliseraient". Il est fou de croire que cela puisse marcher sans rustine. Cela ne nourrit ni la foi, ni la rationalité humaine et ne construit que des individus isolés et mimétiques sans protection les uns contre les autres... On peut toujours rêver comme Peillon à une religion de la laïcite, mais les contours en sont trop flous....


Non, non, nous sommes coincés, chers amis gauchistes et droitards... On ne rétablira pas le sacrifice sans révolte ou honte de nous même et on n’échappe pas non plus à la métaphysique de la communauté. (de ce coté la on voit bien le mimétisme du communisme et du libéralisme rêvant d’un monde de paix par le passage d’un monde sans classes ou d’individu autonome.) L'Eucharistie seul comble et résout cette contradiction qui se fait jour de manière apocalyptique...

Concernant le fait que nous ne pouvons convaincre rationnellement d'une foi religieuse, Chesterton cite Saint Thomas disant qu’il fallait 40 ans au plus pour convaincre du bien fondé de la foi catholique. 

Impossible patience donc aussi....

Ci dessous : résumé plus développé des deux articles...

jeudi 12 septembre 2013

Grégoire Moulin contre le reste de l'humanité.... Artus de Penguern

Le film suit une soirée de notre héros. Cette soirée nous est présentée comme le couronnement d'une vie qui fut marquée par le signe de la malchance et de la persécution.

Orphelin dès sa naissance (dispute idiote  des parents tournant mal à la clinique), élevé par ses grands parents bretons, à la dure, se sentant différent et ayant du mal à l'exprimer. Il va partir pour Paris pour travailler comme gratte-papier dans une assurance. Nous voyons sa jeunesse, sa vie marquée par les brimades et victime de la cruauté de gens, de leur balourdise, de leur bêtise, de leur gout pour la souffrance et de leur grégarisme (symbolisé par le football). Cela est dit avec légèreté, avec des caricatures, le but est de nous faire rire de celles-ci et de nous faire prendre en pitié notre héros, victime malheureuse et bouc émissaire, mi lucide, mi aveugle sur sa situation. Il est l'homme dans la société qui a mis un pas de coté et subit la violence incomprise de ses prochains.


Depuis son travail aux assurances, il peut regarder la jolie professeure de danse. Sa taille fine, sa prestance, sa délicieuse maladresse. il est amoureux. Un jour, malgré sa timidité maladive, il arrive à lui parler... en fait non, il lui vole un objet et lui promet de le lui rendre le soir même, ils ont rendez vous dans un bar.

Alors que tout aurait pu être simple, tous les événements vont se retourner contre lui. Oubli des clés, collègues habitant à l'autre bout de Paris. Conducteur de taxi fou, finale de coupe de France entre Paris (qui perdra...) et Perros-Guirrec (???), des supporters fous, un couple de bons samaritains pervers, une soirée déguisée sur le thème de "bourreau et dictateur", une nymphomane suicidaire, un patron de bar furieux, des policiers malfaisants etc etc...


Bref tout autant de possibilité pour l'auteur de nous faire rire et de dénoncer la folie de ses contemporains. Que dénonce t il ? Le grégarisme donc, la dureté, la violence, l’égoïsme, l'instabilité, la volonté de profiter, d'abuser, la fragilité intempestive et destructrice. Mais il la fait avec une merveilleuse légèreté. Certes, il faut mieux en rire, ridiculiser notre violence instinctive et présente à tous les niveaux de relations....

La soirée déguisée devient le symbole d'une humanité de bourreau en puissance. Il y a bien sur de la paranoïa dans ce film comme l'indique le nom du film, cette paranoïa est traitée sur le ton de l'ironie, de la moquerie, de l'exagération. Le héros, son histoire d'amour avec la prof de danse est trop pure. N'est elle pas marquée sous le sceau d'Emma Bovary que la danseuse lit en attendant celui qui se révélera être celui qu'elle épie depuis des semaines réciproquement  ?


La lune deviendra son seul recours pour vivre avec Odile Bonheur.



Ce film sait nous faire rire de la violence humaine et nous rend autant désirable que ridicule la tentation de la misanthropie....


Il faut rire de toute cette absurde farce... Ce film nous invite à trouver aussi désirable qu'effrayante la situation de la lucidité, arguant que celle-ci nous rend meilleur (plus poétique), plus sensible mais sans défense et que nous risquons d'être balayé par la violence humaine comme a pu l'être par un TGV ce bouc (émissaire?) que nous avons vu dans les premiers plans.



Enfin, notre héros peut être aussi l'homme atteint de psychose, paranoïaque avec syndrome de persécution.... Mais n'y a t-il pas un lien entre syndrome de persécution et lucidité sur la violence du monde ? La folie n'est elle pas si loin non plus de l'expérience mystique. J'aimerais presque faire un lien entre ce film et ma récente découverte d'Henri Grivois et de son concept de "concernement".... A creuser


C'est en commençant cette note que j'appris la mort récente du réalisateur, acteur de ce film... tristesse...


Il avait un site internet où j'ai pu découvrir ce charmant court métrage qui donne déjà des signes de paranoïa humoristique....




dimanche 8 septembre 2013

Camille Tarot sur le sacré

J'apprécie beaucoup la clarification et la perspective historique qu'apporte Camille Tarot, professeur de sociologie. Il parle ici succinctement de son livre (le symbolique et le sacré, théorie de la religion) et finalement de sa longue expérience de la haute tradition française universitaire sur son interrogation sur le sacré, il essaie de dérouler le fil de cette histoire et désigner les pièges sémantiques. on peut regretter un manque de nuance dans sa réhabilitation du sacré mais son travail me semble très important.

Il souhaite avertir que la question du divin est secondaire dans un premier temps (très intellectuelle finalement), il y a d'abord dans les sociétés, la distinction entre  le sacré et le profane, le pur et l'impur qui a été perçue de manière variée
Il présente Durkheim comme le grand prophète de Girard, prophète non écouté avec son intuition de l'objectivité de la présence de la religion. Faire confiance aux primitifs et principalement à leur pragmatisme. Il pense que Girard marche sur ses traces (ainsi que celles de Mauss) à partir de sa théorie du désir mimétique
Il y eut ensuit l'influence protestante et neokantienne d'Otto privilégiant la piste symbolique du sacré amenant petit à petit la structure familiale et sociale de Levi-Strauss. N'oublions pas la perspective économique ou matérialiste. Toutes celles-ci refusent à la religion un rôle centrale ou explicatif global.

Tarot développe la thèse Girardienne qu'il trouve très convaincante (Mais ne veut pas pour autant sacrifier la dimension symbolique). Il pense que le sacré est un système de protection, un régime de séparation qui permet l'interaction. Le sacré est ce qui protège le profane ou ce qui doit être protégé lui-même. Que l'on sacralise l'homme ou le lion, on peut mettre en cage les deux si l'on veut au choix protéger le sacré de l’extérieur et le mettre en cage ou préparer des cages contre ceux qui peuvent l'attaquer, selon ce que l'on considère pur ou impur.
Tarot, ensuite, nous conseille de lire Dupuy et les marques du sacré pour se convaincre que si la structure du religieux s'est éclipsé dans notre société moderne (Mondanisation du Christianisme ?), il a existé de nombreux ersatz de sacré, le plus évident est l'économie et sa capacité de contenir la violence.

Mais arrivons nous vraiment à contenir l'économie ? Tout est il échangeable à l'infini ? N'est ce pas un chemin de destruction? Face au risque de destruction qui a toujours inquiété les hommes et que nous ne réfléchissons plus malgré une économie de plus en plus poison et non médicament.... Ne faut il pas retrouver la préoccupation de l'apocalypse, notamment par le rite du catastrophisme éclairé. (rite car : croire sans y croire tout en y croyant).
Il faut se préoccuper du sacré pour comprendre ce qu'il contient, ce que l'on veut protéger, arrêter de se moquer des rites tout en se méfiant de sa tendance à la violence.
J'aime beaucoup la conclusion de tarot, le sacré est l'inverse de la différenciation des sociétés et même encore de l'indifférence. Le sacré est l'opposé du nihilisme. 

Revenons à la raison par le religieux, l'instance de base de notre monde et de son appréhension.... Après cela, il suffit de ne pas se tromper de religieux.... 


On trouve la vidéo ici:

Résumé plus détaillé de la vidéo :



jeudi 5 septembre 2013

Edito de Ragemag sur la violence

Je ne lis pas assez la presse mais il me semble rare d’y lire des éditoriaux aussi importants.

Arthur Scheuer reproche à la gauche et à la politique social démocrate, son absence de réflexion sur la violence. Pourquoi n’y réfléchissons nous plus ? 

Selon lui, nous sommes bourgeois, nous l’externalisons pour nous croire sans reproche et bons puis nous créons des systèmes qui promettent un monde sans violence. Or ce monde de violence cachée est un monde nécessairement violent. L'article cite Schmitt : dès qu’on veut supprimer la violence de l’homme, on la déchaîne, comme Pascal avait dit auparavant, qui veut faire l’ange, fait la bête.

Parallèlement, pour Scheuer, tout mouvement de non violence est lâcheté ou victorieux par hasard ou par calcul de l’opposant. 

Il présente la violence non comme un besoin et refuse toute fascination mais il lui semble nécessaire pour les progrès sociaux ou pour résister et répondre à la promesse de la défense de ses idéaux, d’où une ambitieuse et étonnante revalorisation de l’honneur. Valeur exprimant le combat et le risque de donner la mort pour se défendre ou bien le sacrifice de soi même pour ses propres valeurs absolues.
Je partage son point de vue sur « l’hypocrisie bourgeoise », sur le mensonge des théories promettant un monde sans conflit, allant pour cela jusqu’à torturer les mots (politiquement correct). Je partage sa volonté de resaisir la notion d'ennemi. J’apprécie son invitation à repenser la violence inscrite dans l’homme et ses sociétés.

Je ne sais pas s’il a lu Girard mais il cite « la montée aux extrêmes ». Terme éminemment girardien lors de son analyse de l’oeuvre de Clausewitz. Mais celle ci exprime le chemin naturel d’un conflit et l’impossibilité (sauf évangélique) de briser l’élan qui le conduit. Or la montée aux extrêmes comme le mimétisme est souvent invisible à celui qui est à l’intérieur du processus.

Or Mr Scheuer est dedans. Car dans cette violence proposée, il y a
toujours un objet (plus ou moins réel et plus ou moins oublié) mais il y a toujours un rival. Que serait le drapeau sans rival honni. L’honneur, n’est-il pas une valeur mimétique ? C’est la justification morale de la continuation de la montée aux extrêmes. Le drapeau est ici l’objet, symbole à idolâtrer qui cache la rivalité mimétique. 

Alors, il faut être victime innocente comme le Christ et regarder laisser passer la caravane de l’histoire sociale, politique et migratoire comme des martyrs ?

Il me semble que c’est la proposition du Christ. « Notre drapeau » est celui du royaume de Dieu. Mais ce drapeau en lui-même est la croix du Christ. Le drapeau de la renonciation à tout combat mimétique et violent. Le refus de jouer le jeu de la destruction. Mais la responsabilité d'être un instrument de la justice, ce qui n'est pas sans combat.

Est ce de la lâcheté, de la fausse espérance, est-ce le chemin de l’injustice sociale, de l’impérialisme et l’échec de tout progrès ou encore du masochisme ? L'exemple de Ibn Ziaten pose la question douloureuse de l'auto-défense. 

Qui est l’ennemi pour Jésus ? Mathieu rapporte (10, 28) cette phrase de Jésus :

Ne craignez pas ceux qui tuent le corps, mais ne peuvent pas tuer l'âme ; craignez plutôt celui qui peut faire périr dans la géhenne l'âme aussi bien que le corps.

L’ennemi, ce n’est pas l’offensant c’est celui qui nous éloigne de l’amour de Dieu, non pas celui qui nous vole notre dignité, notre argent, notre vie. L’offensant est celui avec qui il faut construire le monde de justice et conduire vers Jésus. (plus facile à dire.... certes...). Tout ceci n'est pas dénué de courage ni "d'honneur", c'est un combat.

En parlant d’Illic, Dupuy disait qu’il pouvait être violent comme Jésus, d’une violence sans ressentiment, d’une violence hors de toute idolâtrie. Il y a certes une dimension de force et de "virilité" dans la vérité, elle est comparable au déchirement du rideau du temple ou au tremblement de terre au moment de la mort du Christ, à ce glaive que Jésus promet d'apporte. 

Cela me fait penser à la remarque de Girard dans une interview. La violence est mimétique de l’amour de Dieu. (Je retrouverai la référence)

Et à cette citation de Pascal :

C'est une étrange et longue guerre que celle où la violence essaie d'opprimer la vérité. Tous les efforts de la violence ne peuvent affaiblir la vérité, et ne servent qu'à la relever davantage. Toutes les lumières de la vérité ne peuvent rien pour arrêter la violence, et ne font que l'irriter encore plus. Quand la force combat la force, la plus puissante détruit la moindre ; quand on oppose les discours aux discours, ceux qui sont véritables et convaincants confondent et dissipent ceux qui n'ont que la vanité et le mensonge ; mais la violence et la vérité ne peuvent rien l'une sur l'autre. Qu'on ne prétende pas de là néanmoins que les choses soient égales : car il y a cette extrême différence que la violence n'a qu'un cours borné par l'ordre de Dieu qui en conduit les effets à la gloire de la vérité qu'elle attaque, au lieu que la vérité subsiste éternellement et triomphe enfin de ses ennemis ; parce qu'elle est éternelle et puissante comme Dieu même. 


Les Provinciales (1656-57), Blaise Pascal, éd. Firmin Didot, 1853, Lettre XII, p. 227\

L’histoire n’est il pas ce temps de confrontation surprenante entre la violence et la vérité. 
Et sachons diagnostiquer la terreur cachée derrière le discours de monsieur Scheuer. ( A moins que ce soit du dégout pour tous ceux pour qui la vie ne serait jamais résistance et lutte ???)
Je ne sais pas ce qui est mieux, le bourreau qui s’ignore (bourgeois et pharisien) ou le bourreau heureux car justifié (Pilate, Hérode, les révolutionnaires et tous les hommes aux ennemis trop bien identifiés et imités) ?

La vraie révolution n'est elle pas celles de la conversion ? D'elle viendra toutes les justices sociales et historiques. (mais bon, gardons un canif dans la poche au cas où...)
Je recommande cet article de Cormary qui complète ma note sur le sujet de la violence et continue aussi ma transcription de Fumaroli sur l'image...

Ici, un article pour découvrir Schmitt

Ci dessous un résumé de l'édito :


mardi 3 septembre 2013

Averageness


Decouvert sur ce blog.... et celui-ci

Je ne comprend rien à ce qu'est exactement l'averageness.... est ce véritablement scientifique ?
Je crois que j'aime y croire plus que m'importe vraiment la vérité scientifique de cette chose... (oui, c'est mal...)

L'idée que l'on pourrait résumer toutes les femmes d'un pays en une seule et que celle ci soit belle me remplit de joie... L'idée que toutes les femmes participent à la beauté de l'ensemble du beau sexe...


Rien que pour cela, vive l'averageness










dimanche 1 septembre 2013

Stabat Mater Dvorak

je ne connaissais pas l’œuvre avant de la chanter.
Je souhaiterais mettre en valeur 3 moments particuliers. Mais toute l’œuvre est à écouter. C'est une merveille.

1 Stabat Mater Dolorosa, Debout la mère pleine de douleur se tenait en larme près de la croix tandis que son Fils subissait son calvaire.


La longue introduction de l’œuvre décrit les premiers tourments et la passion intérieure de Marie. Les premiers mouvements nous indiquent une montée.
Les ténors annoncent la situation, Stabat Mater Dolorosa..., nous sommes au sommet du Golgotha auprès de Marie. Nous sommes désespérés.
Peu de temps après, les sopranos interviennent, mais la lamentation désespérée se transforme brusquement en phrase douce et remplie d'espoir. Dvorak exprime ici sa perception subtile de l'ensemble des sentiments de Marie. Par cela, il arrive à nous faire partager un moment de passion brûlant, contenu et qui demeure pour moi un choc. Toute la suite de ce long morceau alternera les moments de souffrance et d'amoureuse sérénité.

2 Eja Mater, fons amoris, O mère source de tendresse, fais moi sentir ta grande tristesse pour que je puisse pleurer avec toi.

Si le morceau commence avec beaucoup de droiture, il ressemble par la suite à un sanglot de conversion ou de consolation. Si les paroles évoquent l'empathie du chrétien face à la détresse de Marie, la musique accompagnerait plutôt la gratitude du converti au Christ par l'accompagnement maternel. Dans tous les cas, un sanglot partagé en communion.


3 Quando corpus morietur, À l'heure où mon corps va mourir, À mon âme, fais obtenir la gloire du paradis.

Le dernière partie commence par la tristesse de l'évocation de notre propre mort mais celle ci encore se retourne en espoir fou de la perspective de la gloire du paradis. Après des cascades d'Amen (oui, oui, c'est solide, j'y crois), le chœur chante à capella, hurle, annonce et demande au Christ la gloire immortelle de l'âme de chacun. Comme toujours dans cette œuvre, nous passons de la tristesse, à la conversion. D'un mouvement brusque de l'âme à la sérénité d'enfant de Dieu.


Invitation à discerner devant la croix du Christ, auprès de Marie, la promesse de consolation et de béatitude.