mardi 25 juin 2013

Dupuy, Illich, et Girard / Violence, économie et sacré

Document audio (voir plus bas) très convainquant de Jean-Pierre Dupuy sur le lien entre Illich et Girard.
Très beau concept de contre production, et belle réflexion sur la difficulté des hommes à s'en approcher sans voir avant la dimension religieuse, sacrée souvent nécessaire.




Intro
Pour Dupuy, nous vivons une crise anthropologique et civilisationnelle. Il est temps pour lui de faire le lien entre deux auteurs clés qu'il a connu personnellement. Et défendre Illich contre lui-même, refuser de faire une scission entre les deux prétendues périodes de sa vie intellectuelle.
1er lien entre les deux penseurs. C’est l’importance de Jean Louis Domenach dans l’introduction de ces 2 penseurs en France. Puis, c’est leur relation compliquée avec l’Eglise.
Illich fut en effet un évêque défroqué (malgré Montini) qui pu dire que « L’Eglise est une putain, mais c’est aussi ma mère. » Girard avant de se contredire a pu dire que l’Eglise avait été fondée sur une interprétation erronée  de la passion du Christ. Tous les deux partagent finalement cette phrase de Chesterton que le monde moderne est remplie d’idée chrétienne devenue folle. Le message évangélique façonne le monde moderne. Mais c’est une version corrompue qui fait l’essentiel du travail….

I Contre productivité
Dupuy tente de présenter la thèse de la contre productivité d’Illich. Illich pense que notre monde moderne a surinvesti le « détour », c'est-à-dire, la tendance à freiner, retenir, économiser, pour faire mieux et aller plus vite. Bref, elle a absolutisé cette stratégie (sacrificielle finalement) pour au final se concentrer plus sur le moyen que sur la fin. 
L’exemple de l’économie est le plus parlant. La fin de l’économie qui est de combler en activité et en richesse l’homme est surpassée en importance par le moyen d’atteindre cette fin.   Au final, dit Illich, après un seuil de développement, plus croissent les institutions industrielles, plus elles deviennent un obstacle à la réalisation des objectifs dont elles sont censés servir. Elles deviennent sur-concentrées par les moyens et oublient totalement les fins. L’école bêtifie, la médecine corrompt la santé, le transport immobilise (exemple fameux du temps passé en (ou au service de sa) voiture en comptant les heures de transport, de soin et d’heures de travail pour la payer avec son carburant, on finit par voyager pour son travail pour payer le transport…), les sciences de l’information cachent le sens et les moyens de communication isolent. Ce ne sont pas seulement des paradoxes. Heureux qui le voit. Bref si on considère une valeur d’usage peut être prise de manière autonome ou hétéronome, on voit que l’hétéronomie peut manger l’autonomie. Autonomie qui bien souvent ne peut être comptabilisée. (Une vie hygiénique contre le conseiller thérapeutique, etc….) l’hétéronomie transforme tout  et nous rend autant service qu’il nous rend esclave et brise les liens humains. Nous devenons attaché à ce qui nous asservit. Bref l’hétéronomie est un poison et un remède à la fois. C’est un Pharmakon.  Dupuy dit que cette tendance moderne est le fruit de la dégradation de l’enseignement de la parabole du samaritain. Nous avons appris la fin des interdits culturels mais avons oublié le « va, toi aussi fait de même », c'est-à-dire, prends le risque de donner en t’approchant de la personne à qui tu donnes. Nous, nous avons créé des distances infinies entre les personnes. En faisant de tout le monde notre famille, sans s’approcher de lui, plus personne n’est de notre famille. Le Christianisme a ouvert un espace sans borne qui est la source de l’hybris industriel. Garde aux institutions qui disent faire le bien contre les méchants, ces "cléricatures" sont les institutions contre productrice, école, église, médecine, voulant faire le bien sans se faire frère. Elles portent en elles leur virus contreproductif.
Sur la médecine, Illich dit qu’il est absurde en soi de lutter contre la mort et la souffrance, on ne peut donner sens à ce qu’on veut extirper. 
L'homme traditionnel avait toujours la capacité de tirer de sa culture un sens. Le moderne est né sur les décombres des systèmes symboliques traditionnelles en qui il n’a vu que de l’arbitraire et de l’irrationnel. Dans son entreprise de démystification, il n'a pas compris que son système impliquait que des limites soient fixés à la condition humaine tout en leur donnant sens. De fait, rapidement la médecine devient une lutte contre la vie, ou encore devient l’alibi d’une société pathogène.
Il faut accepter la contingence de la fragilité humaine. Il ne faut pas niveler par le bas le sel de l'expérience humaine. Chacun doit se détourner de la quête de la santé et chacun doit cultiver l’art de vivre et l’art de souffrir et de mourir, dit Illich.

Illich démontre l'aveuglement de l'homme sur cette contreproductivité. Nous en venons à passer tout notre temps à en économiser. C'est l'absolutisation du "détour". Le travail divisé, c'est le détour par excellence. Le détour devient une fin en soi. Même ce qui est nuisible parait être légitimé par le travail que l’on donne à la population. Confusion entre les moyens et les fins. La société industrielle produit du détour de production, donc du travail... et encore...

II Economie, violence et sacré


Dupuy part de Dumézil qui a observé que toutes les cultures indo-européennes prenaient un soin particulier  à associer le dieu du sacré, de la violence et de la production agricole (ex romain de Jupiter, Mars et Quirinus). Girard dira que c'est le même Dieu. L'économie, la violence et le sacré sont le même Dieu.

Il y a deux thèses opposées sur l'économie. L'économie, c'est la violence. Ou bien l'économie permet de contenir la violence des hommes. L’économie dans une société sans Dieu substitue le sacré et permet d'éviter la décomposition collective. Le capitalisme est censé briser ce qui apparaîtra comme sa principale caractéristique, isolement, appauvrissement des relations et prévisibilité des comportements. Ce qui devait être une lutte contre la volonté des hommes pour le pouvoir devient cette volonté même.
Or Girard nous permet à développer cette contradiction apparente. L'économie contient la violence dans les deux sens du terme. Elle le possède comme elle en fait un barrage. L'économie a la même structure que le sacré tel que Girard le perçoit. Satan expulse Satan. Le sacré, c'est de la bonne violence institutionnalisée et régulant la mauvaise violence chaotique. Or la modernité est le soupcon que ces deux violences n'en fassent qu'une. Et le savoir, c'est découvrir "les choses cachées depuis la fondation du monde."
C'est ici la violence (mais sans ressentiment) du Christianisme et de Jésus, le glaive, le travail de révélation nous laisse seul face à cette violence. L'économie est la continuité du sacré par d'autres moyens.
Le monde est mis en danger extrême par le crépuscule des dieux. C'est ainsi qu'il faut lire la crise actuelle.
Leibniz est celui qui formule l'incompréhension des lumières face à ce phénomène. Le bien contient le mal et s'en sert pour faire le bien, donc le mal n'en est pas vraiment un... L’égoïsme et le vice privé comme nécessaire au bien public en est un exemple merveilleux. Girard en lisant l’Évangile nous apprend que le mal s'auto-transcende et se régule lui-même. C'est ce que Dupuy appelle le kathekon ou bien le frein vers l'apocalypse. Auto-transcendance (ou bien l'autorégulation) du marché revient à dire que Satan expulse Satan. Les analystes de la crise ne comprennent pas cela, pour eux, il y a toujours une bonne ou une mauvaise crise....
Or comme le sacré hier, l'économie perd sa faculté à devenir kathekon. L'économie en se mettant comme pure exteriorité à l'homme se trompe complètement. La régulation ne marche plus, l'injection de liquidité est acte religieux des grands prêtres actuels mais qui a perdu de sa magie.

Conclusion
Dupuy est arrivé à la conclusion qu'Illich est un "prophète" du message chrétien sur les puissances de ce monde. Illich a fait le travail de Girard sur l'économie. En travaillant sur Illich, Dupuy n'a fait que préparer sa rencontre avec Girard qui formalise ce que Illich révèle dans son analyse du monde moderne dans l'économie. Celle-ci ne se développe que dans la contre productivité.

Quelques réponses à quelques questions...
Auto-organisation dans l'économie actuelle, banques centrales, institutions européennes ce ne sont que des productions d’extériorité pour pouvoir s'auto-organiser comme du sacré. Dupuy développe l'exemple extrême du marché en panique. Comme le dit Orléan, il n'y a pas de valeur fondamentale, il n'y a que de l'illusion produite par auto extériorisation.

Oui, la mondialisation conduit à un monde en pleine indifférenciation...
Distinction entre sacré et économie....Perspective historique. Si économie est en crise... Que faire après ? Retour du sacré ? La marque du sacré, son livre a été reçu comme un preche pour le retour du sacré alors qu'il reprend la thèse classique du christianisme comme désacralisation. Perte d'efficacité des mythes et des rituels. C'est terrible.
la thèse de Dupuy est la possibilité du sacré secondaire comme l'économie, l'arme atomique...

Dupuy enfin regrette la récupération militante d'Illich...
Invitation à faire le lien entre Clausewitz et Illich.
Le tout se termine par une blague juive...





Pour les gourmands, je conseille cette vidéo venant du même séminaire pour en savoir plus sur Illich.

Ou encore, cette interview ou Dupuy développe les mêmes thèses. Celle-ci encore.

Et puis cet article de Dupuy dans le monde...

ici-même, vidéo découverte sur le site de l'ina

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