vendredi 21 décembre 2012

L'Eglise et la migration des hommes par Marc Lambret

Ci dessous est la tentative de résumé personnel de deux conférences du père Marc Lambret sur la question de l'émigration. Je penses que celles ci élèvent le débat et nous permettent de réfléchir plus largement sur ces questions. Se les poser, c'est bien sur s'interroger sur notre pauvreté et la relation sociale des hommes entre eux. Tout en relativisant les nations, la géopolitique et nos situations sociales, il nous invite à réfléchir profondément sur le sens de nos communautés, de nos traditions et de nos peurs...

La version originale est ici et .


Lambret veut faire face à la question de l’immigration, L’histoire de Babel et celle de Caïn et Abel seront les histoires qui nous suivront tout au long des deux conférences.
Celles-ci se sont déroulées dans les années 90 peu de temps après les évènements médiatisés des sans-papiers de l’église Saint Bernard à Paris qui eurent un très large écho. Lambret profite de cet évènement pour se poser la question de l’émigration et comment l’Église nous invite à réfléchir sur tous ces sujets.
Lambret commence à expliquer pourquoi ce sujet est important ici et maintenant et quels sont les risques pour chacun de nous.

C’est un sujet médiatique, politique, sociologique, spirituel et historique. Les problèmes sont liés à chacune de ces caractéristiques.
D’abord, il faut se méfier des médias. L'émigration est un sujet merveilleusement fascinant, aussi exotique, attirant l’empathie que créant des peurs de l’autre, de l’invasion. Excitation d'émotions formidables. Or ces émotions (principalement la peur) ne nous aident pas à mener une réflexion indépendante. L’anxiété (une peur innommée)  fait de nous des gibiers de manipulation.

Ensuite il y a plusieurs risques.
1 Dégradation politique due à l’évolution vers l’angoisse de la population
2 Risque sociologique, le racisme et l’accusation de racisme, deux fléaux mimétiques.
3 Risque spirituel, comment rencontrer et accueillir l’autre ?
4 Risque de l’invasion. Comment résoudre le formidable déséquilibre démographique et économique mondial dans un monde globalisé ?

Mais d’abord quelques réflexions. La migration ? C’est une histoire de toujours. L’histoire des hommes est aussi une histoire de la migration. Pas de peuple stable définitivement. Les peuples ayant une histoire sont ceux qui ont bougé, les autres, les oubliés sont ceux qui ont été exterminés ou absorbés. Chez nous, Clovis est celui qui vient de l’est. La fin de l’empire romain ? Est-ce les grandes invasions ou les grandes migrations ? Rome s’est défendu puis a géré puis a disparu. Bref, la question de la migration est une tendance lourde qui nécessite un point de vue à long terme aussi.
Alors aujourd’hui, sommes nous face à une population inassimilable et remarquable par son nombre ? Non plus, notre monde n’a jamais été aussi mondialisé et les techniques anciennes de migrations structurées par le meurtre des hommes et le vol des femmes sont moins douces qu’aujourd’hui.
Alors quelle-est la nouveauté ? Nous ne savons plus ce qu’est la solidarité humaine élémentaire, ce que veut dire appartenir à un groupe, nous vivons un oubli profond de la dimension sociale de l’homme.
Nous appartenons toujours à un groupe. La rencontre de deux hommes est toujours la rencontre de deux groupes. La compénétration de deux groupes  n’est jamais facile, mais le carnage peut ne pas être la règle.
Ce qui nous parait incompréhensible (la difficulté de la rencontre de deux groupes) est normal. C’est un problème inattendu que dans la mesure où nous croyons que l’homme est un sujet de droit autonome. Nous sommes face à l’impensé de notre philosophie moderne (universalisme individuel). Nous sommes, en plus, des technocrates organisateurs qui ne comprennent pas pourquoi la réalité ne s’applique pas à leur modèle.
Rien de nouveau, certes, mais que faire face à tous ces risques et à nos nouvelles incompréhensions ?

A Ecoutons ce que l’Eglise peut nous dire

I la nature sociale de l’homme (la réalité la plus ignorée.)
Comme énoncé dans la doctrine sociale de l’Eglise, un homme ne se définit jamais par lui-même mais par le groupe auquel il appartient, de cette observation découle (et s’explique par) le bien commun (les éléments matériels ou non qui unissent et symbolisent ce groupe). Ceci dit, il nous faut nous opposer à la fraternité humaine assénée comme une obligation. C’est une idéologie non efficace qui contredit toute expérience humaine de la différence de l’autre. Chez les chrétiens, la solidarité humaine universelle est compréhensible à partir de la notion de nature sociale.
L’expression même de "nature sociale de l’homme" indique une dialectique anthropologique fondamentale entre l’individu et le groupe, entre la personne et la communauté. Une "dialectique" parce qu’on ne peut pas placer l’une de ces deux réalités absolument avant l’autre. Et, si la communauté est tout entière définie par le fait de servir les personnes - ce qui est assez admis généralement - réciproquement, la personne est toute entière définie dans le fait de servir la communauté.
II Doctrine sur la distribution universelle des biens


La modernité est un déséquilibre perpétuel entre universalisme et particularisme entre propriété et distribution universelle des biens. Selon l’histoire et les évènements, nous oscillons entre des extrêmes. L’Eglise souhaite montrer comment chacun de ces éléments sont subordonnés aux autres. Universalisme et particularisme se marient entre eux dans l’Église et la propriété est légitimée dans la doctrine de l’Église que dans la mesure où elle est subordonnée à la distribution universelle des biens.


Cela nous permet aussi de pouvoir savoir si nous faisons partie d’une communauté : en examinant si nous avons un bien commun régi par une autorité convenable en vue de l’heureuse existence du groupe et de ses membres.
Ainsi dans une communauté qui a pris conscience de sa réalité communautaire, la politique est le règlement du bien commun, c'est-à-dire respect des personnes, prospérité du groupe, durée et sécurité d’un ordre juste… Comme une famille.

III accueil de l’étranger (d’abord il faut le considérer ainsi et nous considérer comme non-étranger)
Partout dans notre monde, il y aura lutte contre les iniquités, pour la justice. De cette nature sociale des hommes, de l’amour de Dieu, découle alors la dignité de chacun de ses membres, et donc de l’égalité de chacun et même de ses droits dans la communauté. Mais cette réflexion se développe aussi entre les communautés dont les relations entre elles sont comparables, et dans cette réflexion, bien sur, les plus riches ont des devoirs de justice (et notamment d’accueil) vis-à-vis des plus pauvres.

IV Amour prioritaire des pauvres.
Cette idée est au-dessus de toute revendication égalitariste. "Des pauvres, il y en aura toujours parmi nous" (cf. Mt 26,11 - Mc 14,7-8 - Jn  2,8). Idée folle pour notre temps. Pourtant la pauvreté est le signe de la vérité de l’humanité. Détresse et besoin de salut. La création gémit dans les douleurs de l’enfantement. 
Le Christ ne fait pas l’apologie de la pauvreté (n’oublions pas le premier mot de Jésus ressuscité, shalom, paix mais aussi prospérité, allégresse, fécondité). Mais Jésus appelle notre refus de l’exploitation des petits et des faibles. Et l’Eglise nous dit que l’amour des pauvres est incompatible avec l’amour des richesses ou avec leur usage égoïste (N° 2443 à 2449). Il nous faut entendre cette phrase dans toute sa force. C’est parce que notre société met son espérance dans les richesses plus que jamais qu’elle est devenue tout à fait incapable de comprendre ce que signifie l’amour des pauvres.
La modernité ne comprend pas ce dernier point et ne lui permet donc pas de comprendre l’humanité. Or la migration est liée à cette pauvreté.

B Ensuite, il faut comprendre anthropologiquement la question de l’émigration.
I Car pourquoi la migration sinon l’espoir de passer du malheur au bonheur. Et pourtant, il y a toujours cette ambivalence : Grande migration ou grande invasion ? Que faire quand on est fort, jeune, nombreux et en mouvement ? La normalité humaine marquée par le péché conduit ces mouvements vers le vol et la destruction. Oui, la migration, comme la pauvreté dit la nature humaine. Ici bas, tout n’est que recherche perpétuelle de patrie, recherche perpétuelle de vie meilleure. C’est seulement à partir de ce point que l’on peut penser les valeurs de la stabilité, de tradition.


D’où un paradoxe humain, si l’homme est un migrant qui veut bâtir, quand il obtient cela, il obtient une négation de lui-même. Comment sortir de l’impasse ?
Oui anthropologiquement, la migration est un phénomène ambivalent. C’est, d’un côté, un mouvement de misère : on est poussé à migrer par l’indigence, ou du moins par l’espoir d’une vie meilleure, et l’arrivée de migrants provoque, en général, une perturbation. Et, de l’autre côté, la migration est une sortie de soi libératrice pour l’homme : un mouvement positif, un mouvement d’espoir, un mouvement d’entreprise, un mouvement de quête, un mouvement purifiant, parce que pour bouger, il faut être léger, donc il faut abandonner le superflu, il faut discerner le plus nécessaire, le plus important. C’est un approfondissement, qui fait aller à l’essentiel, c’est le risque de l’aventure, c’est la possibilité de rencontrer ce qui est différent, et ainsi de s’enrichir humainement.



De l’autre coté, la stabilité est une autre ambivalence, regardons les "grandes civilisations" : Sumer, Babylone, l’Egypte, la Grèce, Rome, la Chine. Que fait l’homme quand il réussit sa stabilité ? Il développe une concentration humaine qui représente un énorme potentiel dans tous les domaines. Et en même temps, il développe des vices insoupçonnés auparavant. C’est le paradoxe de la ville, c’est le paradoxe de la civilisation, que cette concentration, que cette accumulation d’hommes et de biens soient sous un aspect un développement humain merveilleux et, sous un autre, l’aggravation de l’injustice et de la perversion jusqu’à l’abomination.


II Autre aventure essentielle de l’humanité : la rencontre de l’autre.

Sa différence culturelle nous arrive violemment à la figure mais l’intérêt de la rencontre n’est elle pas de se reconnaître semblable et dépasser l’altérité. Mais si nous faisons un avec les autres, il n’y a plus d’altérité…
La capacité d’entreprendre intelligemment l’accueil de l’étranger est un baromètre de la véritable valeur humaine de toute société…

Parisiens que nous sommes en particulier, nous sommes l’Occident moderne. Nous sommes structurés par l’idéologie occidentale moderne : idéologie individualiste et universaliste, stabilisée par l’idée que nous représenterions l’âge de la maturité de l’homme. Voilà l’origine de tous nos problèmes spécifiques. Il y en quatre particuliers.


1 Le racisme est lié à l’occident moderne. A la base, il existe une xénophobie ordinaire, sorte de timidité et de peur de l’autre et pour être véritablement homme, il faut savoir le surmonter. Mais le racisme, c’est ajouter l’erreur scientifique et très moderne de la distinction des races humaines. On ne cesse de nous dire que le racisme va contre la modernité mais non, il faut simplement considérer le couple moderne racisme et antiracisme (négation vers l’absurde de la différence) qui se rejoignent en tant que frère ennemi se combattant éternellement dans l’individualisme et le refus de la doctrine de la nature sociale de l’homme. (Autre exemple de la misère de la pensée moderne est le couple machisme (race masculine en force !!) féminisme (indistinction des sexes))



2 Négation du lien social. L’homme est seulement pensé comme un individu autonome et suffisant. Ainsi, le fondement du libéralisme est de nier le lien communautaire. Nous n’avons plus que des caricatures de lien social. Nous sommes encore emprisonnés par un couple de frères ennemis. Libéralisme et Socialisme dans les deux cas, la communauté n’est plus qu’une unité d’intérêt soit par contrat, soit par classe. Bref, encore une fois, nous ignorons la nature sociale de l’homme.

3 Nous ne savons plus qui nous sommes. Perte de sens de la communauté. En France ou en Europe, nous ne pensons plus qu’en part de gâteau et en termes de communauté économique.

4 Problème de pensée, nous ne savons plus ce qu’est un argument de tradition, d’autorité. La conséquence est que nous ne pensons plus, nous négocions.



C Salut en Jésus Christ


Qui sommes nous alors ? Si nous parlons de capacité d’accueil alors nous ne sommes pas tout le monde ?
Nous oscillons sans cesse entre deux absurdités. « Je suis citoyen du monde sans frontières » et « nous ne pouvons accueillir toute la misère du monde ».
Quel est donc notre histoire, notre valeur spirituelle, notre moral ? Est-ce une perte si nous disparaissons ?
Le père Lambret nous dit que la France a besoin d’une conversion, d’une sérieuse critique de notre culture. Comment comprenons-nous l’homme, la famille ? Comment et pourquoi les personnes et les institutions peuvent elles être récompensées.
Chrétiens, nous croyons à une histoire de Salut. Cette histoire est migration. Enfin, parlons de Jésus, d’Abraham, eux qui n’avaient pas une pierre pour poser leur tête. Nous ne sommes que des immigrés et des hôtes (Genèse 23.4) (existe aussi Hébreux 13,14, 2Co51-10). Oui, les chrétiens restent étrangers à ce monde, ils aspirent à leur véritable patrie. Le monde reste une perpétuelle recréation par le salut réalisé par Jésus-Christ. De Babel à la Jérusalem céleste, de Caïn à la Pentecôte.
Bref, n’oublions jamais le mystère de l’humanité.
Nous sommes des migrants, nous avons un désir d’ailleurs, de fraternité profonde. Pourquoi sommes nous si séparés ? La différence de langue en est un bon symbole. Même si nous avons la même, certains proches peuvent ne plus rien se dire. La rencontre véritable se fait toujours dans la pauvreté, dans la découverte d’une fraternité semblable, la fraction du pain en est un exemple.
De Babel à Caïn, on peut voir que toute malédiction, tout malheur est lié à notre péché et l’oubli de la parole du frère, du soupçon du mensonge sur lui, ce qui conduit à la méconnaissance du frère à la rupture du lien, à la perte de la parole et au meurtre. (Abel déjà signe de Jésus).
Oui, la migration est ambivalente. Malédiction et figure de rédemption dans la pauvreté. L’histoire de l’homme est l’histoire de la restauration de l’homme dans son rapport à Dieu et à l’homme. De même la prospérité est ambivalente, celle-ci vécue dans le meurtre de Caïn est vécu contre Dieu.
Babel, c’est cela, la prospérité vécue dans la perversion et multipliant le cercle des meurtres et des vengeances. (s’emparer de l’égalité avec Dieu contre Dieu alors que cela nous était offert). A Babel, les hommes construisent efficacement le monument de leur satisfaction de désir de puissance et de gloire, les hommes sont moulus dans le projet insensé de se faire Dieu en collectivité en opposition à la Jérusalem nouvelle qui descend du ciel comme un cadeau de Dieu.
Notre vie prend son sens dans notre salut et dans l’aventure de la reconstitution de la fraternité humaine. L’Eglise est le signe, la réalité et le moyen de cet accueil là qu’est notre salut. Les chrétiens devraient être en tête de cet accueil et que nous puissions revenir à notre première vocation qui est d’être sauvé ensemble.

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« Que notre société en soit à n’envisager la question des migrants que comme le problème de la gestion économique des émigrés, c’est effrayant. Comment n’avons-nous plus la passion de l’homme, la passion de l’autre ? »
« L’amour se nourrit de différence et de pauvreté. On ne peut aimer que pauvre, on ne peut aimer que l’autre. Comment rêvons-nous un monde où nous serions tous pareils et pareillement riches ? »
« Nous le savons, c’est là notre histoire humaine. Nous étions errants, perdus, sans terre, sans patrie, sans espérance d’en avoir jamais une. Nous étions comme Caïn. Et le Fils de Dieu est venu partager ces maudites conditions, afin de nous établir tous dans notre patrie, qui est le ciel, c’est-à-dire la demeure de béatitude qu’est Dieu lui-même. »

mercredi 19 décembre 2012

Un Coeur en hiver, Claude Sautet

Claude Sautet 1992
Les sentiments comme illusion et vérité de l’homme.

Stéphane est luthier (ancien violoniste…) Il se dédie à son métier corps et âme, il s’est associé avec Maxime, jeune homme jouisseur, aimant la vie simple, l’argent et le frisson de la musique, il est le capital et une certaine superficialité de l’homme vivant sans s’en rendre compte….
Ce Maxime a une nouvelle copine, Camille, belle violoniste qui enregistrera bientôt les trios de violon, violoncelle et piano de Ravel. Que va-t-il se passer ensuite ? Par volonté, par accident, une étincelle va naître entre Camille et Stéphane, elle deviendra très amoureuse, prête à tout pour lui, il se refusera à elle, il devra tout recommencer, changer d’association, découvrir que quelque chose est mauvais en lui, et pouvoir avoir un nouvel horizon…
Ce film froid, dur et austère m’a fait renouveler l’expérience  du bonheur que j’ai à toute vision d’un film de Sautet. Est-ce ma connaissance Girardienne ? Est-ce la beauté de la photographie, le réalisme de son anti-réalisme primaire, la douceur jamais ennuyante du montage ? Le mélange du plaisir symbolique et humain, la sagesse presque métaphysique de chacun de ses films ? Peu de films m’embarquent avec autant de justesse et d’humanité dans les labyrinthes de l’âme humaine…
Tout d’abord tout est dans le métier de nos héros… Maxime près de l’argent, du salon, du téléphone, de l’avion, de la mondanité et des femmes… il est loin du violon (une seule scène, au début, où il aide à recoller un instrument) mais en profite…
Camille près du violon, de l’art, de son agent. Stéphane, lui, entre dans les entrailles de l’instrument, le connait, le fabrique, lui rend son son plus élégant.
A travers ces trois métiers Sautet nous parlera de l’art et du cœur humain car le violon sera le cœur humain et le film montre celui qui en profite, celle qui en joue, celui qui le décortique.
Car Stéphane comprend le cœur humain et ne joue plus de violon (bien qu’il fut un excellent élève de Mr Lachaume, personnage important de notre histoire…) il n’est plus amoureux et n’y croit pas, il sait comment se faire aimer, il sait comment cela marche et est écoeuré par les sentiments, il ne veut plus y croire… Il sait même que la coquetterie et l'indifférence sont des armes efficaces dans cette situation.

Il va être piqué par la rencontre de Camille, présentée comme le nouvel amour de Maxime, il jouera un jeu sans le jouer, tout en étant clair et brouillé, évident et confus… C’est Camille qui va dans l’atelier par le charme de l’artisan et de la transmission… Mais elle est happée par le personnage qui la fixe et semble déjà la repousser. Girard, Girard encore Girard.
S’il la repousse, c’est en effet car il ne croit pas l’aimer vraiment, il pense qu’il a joué avec elle, avec Maxime (rival finalement), avec ce qu’elle avait de plus précieux. Son statut d'indifférent blesse tous ceux qui l'approchent et se retournent contre lui. La crise qui suit, sa violence,  son humiliation devant le monde entier. Viendront que plus tard, les douces réconciliations, la mort du maître, le départ de la meilleure amie.


Nous découvrons "l’horreur" du personnage, du mal qu’il peut propager autour de lui tout en découvrant aussi qu’il est victime en majeure partie. Au final, l’homme qui ne croit pas en l’amour, car il  l’a analysé avec acuité comme personne, perd en conséquence un part de son humanité. S'il a vu l’amour comme une illusion alors toute la vie lui semble de même une illusion ou bien un mécanisme un peu bébête (travail sur l’automate violoniste), il perd toute vigueur, propage le malheur, le malaise. A-t-il donc raison ? Dans un certain sens oui, il réussit tout ce qu’il veut, il croit en l’imitation, en la tradition et en la transmission mais il perd toute possibilité de création, d’amour  et de relation… La chaleur de l’amour est aussi illusoire que peut être un film, tout aussi artificiel par rapport à l’original (la vie réelle) qu’elle est elle-même par rapport à l’amour réel qu’un chrétien appelle divin… l’art et l’amour humain, tout autant artificiel qu’ils sont, nous approchent de la vérité et de l’amour, la vérité sans amour est chute et illusion… Tout peut être vu comme illusion et mécanisme, mais l'homme qui en est conscient n'en est pas moins épargné. N’est ce pas le sens du film ??? Le personnage du maître est très éclairant…  Nous comprenons à la fin du film que la relation de Stéphane envers lui est cruciale. Stéphane ne l’a-t-il pas trop bien imité, n’a-t-il pas été la barrière pour le même objet du désir, désir de l’être envahissant et illusoire encore une fois, car celui-ci se meurt, il est faible, il pleure dans les bras de sa bonne à qui il a fait un enfant. L'amour est affaire de servitude consentie. Il est humain finalement celui qui détenait l’être, celui que j’imitais en ne croyant imiter personne, en le tuant, une porte s’ouvre…. Personne ne détient l'être, nous sommes tous dans la même situation de carence ontologique. L'amour et le don est la voie étroite malgré tout...
Tout est possible, je touche le bras de Camille et la grisaille parisienne me devient insupportable.



A noter
Quelqu’un souffre toujours…. Phrase si inélégante de Maxime
Toutes les relations sont incroyablement montrées, crédibles et grinçantes
L’agent de Camille, mimétique
L’amie de Stéphane, mimétique (amoureux intimidé)
Réglage de violons
Grisaille parisienne, grisaille d'un monde où l'amour est un piège
Cafés parisiens, téléphones, scène en voiture
Déclaration d’amour de Camille. La déclaration humaine
Film très universel malgré son froid
Ravel ? Comme Stéphane, sa musique ne nous le dit pas…
Tout le mimétisme est là et beaucoup de métaphysique
L’amour qui monte,
Le couple qui se dispute
La discussion sur la tradition et l’aliénation et la démocratisation culturelle
Le squash comme symbole de la lutte mimétique des meilleurs amis
J'ai longtemps cru que c'était la seule personne que j'aimais
Le scénariste du film (Jacques Fieschi) demandant Oblomov dans une librairie
Si c'est un jeu....
Tu voulais démystifier les sentiments ?

lundi 17 décembre 2012

hommage à Offenbach









Offenbach fut pour moi le premier phare qui me signala la musique dite classique. Joie, mouvement, mélodies, harmonies efficaces et parfois subtiles. Ironie politique, un peu commentateur de l'actualité, moraliste en négatif, il donne un peu de superficiel comme pommade sur nos coeurs épris d'absolu. Combien de fois, ne m'a t'il pas consolé ? Me poussant à me moquer de la vanité et à participer aux merveilleux mouvements de vie que compose notre existence... Souffrant peut être de la faible considération de son art, il composât à la toute fin de sa vie l'oeuvre (à peine achevée) des contes d’Hoffmann, méditation sur l'art, l'amour et le double diabolique. Méditation romantique sur l'échec de nos vies provoqués par le rival insaisissable  et sur le salut par une spiritualité artistique, une foi en la solitude de l'artiste. Romantisme...certainement...




mercredi 12 décembre 2012

Quel est notre paradis ? Sens de l'histoire et Apocalypse

Encore une petite vidéo de Fabrice Hadjadj, celle ci va nous permettre de commenter la question du paradis et en quoi l'image de celui-ci influence notre philosophie et la représentation de l'histoire des individus, des peuples et de l'humanité...

à partir de 44.10 jusqu'à 47.53







Le bonheur peut coïncider avec une certaine souffrance et le bien-être humain peut passer complètement à coté du bonheur humain.
Si on réfléchit au paradis nous avons deux récits ambivalents. Dans le  récit biblique, il y a deux paradis. L’éden,  paradis terrestre où l'homme est créé avec la femme et le paradis céleste qui se trouve à la fin. Nous sommes proches des anciennes religions (éternel recommencement) mais si on va d'un paradis à un autre paradis ce n'est pas comme dans un cycle. Le paradis terrestre est irrémédiablement perdu et vouloir retourner à ce paradis, c'est la régression, c'est la faute. Entre ces deux paradis est décoché la flèche de l'histoire. La notion d'histoire est une notion judéo-chrétienne, avant, cela n'a jamais existé. Nous, nous avons un commencement, une chute et la fin de l'univers. La critique de Julien l'apostat au chrétien est : "mais ne voyez vous pas la splendeur du cosmos, le monde n'a pas commencé et il ne finira jamais." Le chrétien dit si, il y a eu un commencement et il y aura une fin. Il y a une linéarité du temps. Toute l'histoire est commandée par cette notion de paradis perdu et celui auquel on tend. Et on va voir que tous les mouvements historiques essaient de se débrouiller avec cette question de paradis. Ex: Marx, il fait une eschatologie sur une société parfaite, paradis social et c'est le sens de l'histoire. La critique du capitalisme se fait aussi par rapport à l'illusion paradisiaque du capitalisme (Guy Debord) Notre société du spectacle reconstruit l'arrière monde du religieux paradisiaque à travers le spectacle. Le cyberespace, c'est encore une parodie du paradis.


J'ai souhaité présenter cette vidéo car elle dit énormément en très peu de mots.
Le christianisme a décoché la flèche de l'histoire. Le cycle et la nostalgie de l'eden sont effacés, le paradis est en face de nous. La matière n'est pas immortelle, l'univers a eu un départ et une fin, l'homme s'oriente vers le chemin du paradis. Le Christ a tendu la corde, cette corde stable des temps archaïques. Mais où va la flèche ? Vers les lendemains qui chante de la société sans classe, vers la singularité technologique diagnostiqué par Bellanger dans la modernité du XXeme siècle, vers le paradis baba cool,  vers le paradis consumériste, vers le transhumanisme de Huxley, vers la social démocratie de Gauchet, le régime mixte de l'individu enfin raisonnée et adulte de l'homme sachant l'histoire qu'il fait ?

Jésus dit nous, allons vers le royaume de Dieu, la parousie et la révélation. L'apocalypse est le dernier livre de la Bible. La rencontre de l'humanité avec sa propre violence, la possibilité du choix du royaume de Dieu, déjà présent en signe.


La flèche tremble, les interprêtations sont multiples, Gauchet analyse le mouvement de la flèche mais se refuse à définir des lois précises et universelles. 
Girard dit : Ne voyez vous pas que tout cela a un sens ? Le Christ a retiré les béquilles sacrificielles de l'humanité (la violence créatrice d'ordre) et les hommes n'ont plus que le choix entre la montée aux extrêmes de la violence et l'acceptation du royaume de Dieu. C'est l'espérance paradoxale de l'Apocalypse.



Quel est notre paradis ?

lundi 10 décembre 2012

La théorie du roman de René Girard par Jean Cohen

Je vous propose de lire avec vous un compte rendu  de Jean Cohen de "mensonges romantiques et vérités romanesques". Je trouve que ce document résume très bien ce livre essentiel. Je vous le recommande grandement.

Ce que découvre et montre René Girard dans ce livre?
En vérité, ce n’est jamais moi qui désire mais l’autre qui désire en moi. Toute œuvre qui épouse et démontre cette vérité est romanesque, toute œuvre où l’auteur, le héros se croit authentique et dissimule cette vérité est romantique.
Le premier exemple est le Don Quichotte de Cervantès qui ne cesse de vouloir être Amadis de Gaule, chevalier vertueux. Cervantès démontre le mimétisme de Don Quichotte envers son hérons. Celui-ci est fou mais c’est la folie de tous les hommes et c'est ce que Girard et les grands romanciers montrent.

Seul le bon romancier nous montre donc la faiblesse de notre être et comment rien ne pourrait véritablement combler notre désir, le désir sitôt atteint nous montrant sa nullité… (l'autre ne sachant pas mieux désirer et être..) La sagesse humaine se confronte d'abord à l'autre, médiateur, modèle.

Longtemps la psychologie a protégé le romantisme, nous nous imitons, mais on peut malgré tout trouver son moi profond derrière la couche artificielle. « Deviens toi-même » est la morale psychologique et romantique par excellence. Le désir humain a pourtant besoin de médiation et est triangulaire.

Le désir serait bêtement snob ? Oui, nous aimons faire partie du monde comme l’avare aime l’argent. Le désir ne serait que le signe de notre idolâtrie « des gens biens » ? Ainsi Proust va au sujet de son œuvre quand il parle du snobisme, il fait plus que compléter les sujets de la mémoire ou encore de l’amour….

La médiation s’adapte au monde mais elle reste éternelle. D’où l’histoire du roman selon Girard

Une des différences essentielles est la distance avec le médiateur selon l'histoire du monde. De Amadis, lointain personnage de roman à notre prochain, notre semblable comme dans Dostoïevski. Nous sommes passés de la médiation externe à la médiation interne. C'est à dire d'un personnage qui nous est éloigné (par exemple, un personnage de roman, un roi, un membre d'une caste supérieur) à un personnage qui nous est proche par tous les détails de notre vie et de notre situation sociale. Plus le médiation devient interne, plus elle est dangereuse, le modèle devient rival, un rien peu provoquer « l’envie, la jalousie et la haine impuissante ». On est toujours frustré par ses égaux. L’ancien régime est le monde de la médiation externe, le bourgeois gentilhomme en est le meilleur exemple. Désormais le snobisme n’est plus que honteux. Le mondain devient même anti-mondain.
« Dans une société où les individus sont libres et égaux en droit, il ne devrait pas y avoir de snobs. Mais il ne peut y avoir de snobs que dans cette société. Le snobisme, en effet, exige l'égalité concrète.»
Il ne nous est plus possible de ne pas désirer ce que nous savons ne pas pouvoir posséder. Pour ce qui est des objets, l’industrie fait des merveilles (mais a des limites…) mais pour les biens immatériels ? Par exemple le prestige ne peut être pour tout le monde, même il ne peut se partager sans disparaître…

La valeur de l’objet ? C’est toujours le regard des autres qui le construit. Pour qu’un objet apparaisse comme un bien, il faut qu’il soit refusé ou à soi même ou aux autres. L’homme ne peut jouir que du privilège.

Le monde moderne est donc un monde ou le totalitarisme frappe sans cesse à la porte, il n’est que la forme visible de la médiation interne et selon la lecture girardienne de Cohen le terme fatal du progrès social.

Le triangle est cependant la figure la plus simple. La géométrie du désir peut se compliquer….
Exemple dans le misanthrope de Molière :
Alceste aime Célimène et Célimène aime Alceste. Mais Alceste a montré le premier son amour — erreur impardonnable, qui a scellé son destin. Désormais Célimène, par la médiation ďAlceste, sera indéfiniment renvoyée à elle-même. Elle se dédouble et son corps devient aussi l'objet de son propre désir. « Imiter le désir de son amant, c'est se désirer soi- même grâce au désir de cet amant. Cette modalité particulière de la médiation double s'appelle la coquetterie ». La coquette s'aime elle-même et devient indifférente au désir de son amant dans la mesure même où elle y est sensible. Et dans cette indifférence de l'aimée, l'amant croit reconnaître cette autonomie divine qui lui est refusée. Dès lors, le cercle diabolique est fermé. Lui désirera toujours celle qui se refuse et elle refusera toujours celui qui la désire.

L’indifférent est le médiateur de lui-même et vit en circuit fermé alors que les autres peuvent croire qu’il détient l’autonomie divine… Plus encore masochisme devient le comportement banal de notre époque moderne marquée par la médiation double (double triangle mimétique où le rôle du désirant et du médiateur s’alterne sur les deux mêmes personnages).

Alors tout serait affaire de triangle de vaudeville ? Presque, sauf que le vaudeville prend au sérieux le triangle, il continue souvent de penser que c’est l’amour qui engendrerait la jalousie. Il rate de peu le romanesque. Le véritable triangle romanesque se trouve dans l’éternel mari de Dostoïevski.

« L'amour et la vie sociale obéissent aux mêmes lois. Proust disait que « le monde est le reflet de ce qui se passe en amour ». L'aspect fantomatique de la médiation circulaire n'est jamais aussi flagrant que dans le phénomène de la mode. Qui lance la mode, personne ; qui la suit, tous. Chacun admire ce qu'il croit admiré par l'autre. L'homme de la mode n'a qu'un but : être vu. Mais il n'y parviendra jamais. Car celui dont il sollicite le regard ne veut lui-même qu'être regardé. Tous sont visibles et personne n'est voyant. Les miroirs qui se reflètent eux-mêmes ne se renvoient que leur propre néant. »
L’auteur souligne bien ensuite le caractère anti-progressiste de Girard, Le salut ne viendra pas de nous, notre vanité semble nous coller à la peau.

Pourquoi ? Girard diagnostique une maladie ontologique. L’homme se sait vide et ne cesse de le cacher. Seul l’Être le comblerait… Toute vanité n’est que le symbole de ce désir d’être. Dans un monde où Dieu est considéré comme mort, tout le monde lui recherche un substitut.

L’histoire du roman est l’histoire de l’idolâtrie des hommes sans Dieu et de son remplacement vers l’adoration de l’homme et de ses conséquences malheureuses. De Don Quichotte de Cervantès aux Démons de Dostoïevski, c’est une dégradation étourdissante, du demi-dieu vertueux de l’idéal chevaleresque à l’idéal révolutionnaire où des hommes se pensant libres démontrent sans cesse plus leur esprit d’esclavage et leurs vices. La médiation devient de plus en plus rapprochée.

La porte du salut, néanmoins, pour le héros romanesque est sa mort où il peut se déshabiller de ses illusions, le néant qui se sait néant découvre l’être.
« L'ouvrage de René Girard débute par la critique littéraire et s'achève en théologie. Tous les romans de la littérature occidentale s'éclairent les uns par les autres parce que tous disent la même chose. C'est là le point de vue du critique. Mais ce qu'ils décrivent est la face négative d'un processus unique dont la face positive n'est révélée que par le premier d'entre eux : l'Imitation de Jésus-Christ. La critique débouche sur l'apologétique. Avec la découverte du Médiateur, le jeu des miroirs a cessé. La transcendance s'est redressée. Le roman trouve sa vérité en même temps que l'homme son salut. »
En conclusion, Jean Cohen redit son émerveillement face au travail de René Girard, mais n’est il pas une question de foi ? De confiance envers lui et même envers Dieu. Il note que la fin du livre reprend la fin des frères Karamazov et la tirade de l’espérance d’Aliocha. Il note encore que René Girard a omis dans la toute dernière phrase la nuance « répondit aliocha mi-rieur, mi-enthousiaste ». Cette omission montrerait le refus de Girard de transporter l’hypothèse d’ironie d’Aliocha que Dostoïevski nous avait, semble-t-il, laissé….

vendredi 7 décembre 2012

Soudain l'été dernier


Faim d’être

Etats Unis 1937. En Louisiane, un chirurgien d’un petit hôpital psychiatrique, sans trop de moyen, lobotomise devant les yeux de certains étudiants. Il se plaint à son directeur des moyens mis à son service. Mais cela tombe bien, ils sont désormais en lien avec la richissime veuve Violet Venable. Celle-ci est curieuse des méthodes du docteur Cukrowicz pour la Lobotomie et plus particulièrement pour sa nièce Catherine complètement dérangée depuis la mort de son propre fils Sébastian.  La première entrevue avec Mrs Venable nous permet de faire connaissance avec elle. Riche, arrivant de son ascenseur personnel comme une déesse, nous découvrons une femme troublante, hautaine, une beauté se fanant. Elle ne cessera de parler de son fils décédé Sébastian. Son aura, sa vie d’artiste oisif, sa pureté, sa conscience supérieure, sa popularité, l’adoration que les gens lui portaient. C’est une femme abandonnée vivant du souvenir d’un fils que nous avons encore du mal à cerner. Ils passaient toujours leurs vacances ensemble quelque part en Europe sauf l’été dernier où il était avec sa cousine. A ce propos, elle fait comprendre à notre ami docteur, que les fonds viendront quand il aura opéré sa pauvre nièce. Qu’a-t-elle ?  Folie, agressivité sexuelle, hallucinations et propos incohérents.
Tiens, il rencontre la mère et le frère de celle-ci… De pauvres gens manipulables et âpres au gain. 
Le docteur rencontrera ensuite Catherine que nous voyons en femme sexy et tourmenté. Perdue depuis la mort (de plus en plus mystérieuse) de son cousin. Elle se sent depuis pourchassée, est accusée d’agression sexuelle et est cloîtrée dans une maison de bonnes soeurs l'enquiquinant.  Le docteur par son attention et son doute naissant vis à vis de la tante va la convaincre d’entrer dans l’hôpital psychiatrique. Le docteur est coincé entre la tante poussant à l’opérer une fille qu'il croît saine mais handicapée par les réactions surprenantes de celle-ci se sentant pourchassée et comprenant les risques de la lobotomie. Continuant son étude et se sentant pressé par les évènements, il invite tout le monde chez Mme Venable, au moment de la piqûre et d’une réflexion sur la vérité, ils s’embrassent. Comme promis, elle dira la vérité : la prédation sexuelle homosexuelle de son cousin, elle qui l’accompagnait car elle était son appât, le nouveau car sa mère lui servait ainsi dans le passé. Cette fois ci, son aura se retournera contre lui et la foule le conduira vers la colline où il sera dévoré par la foule dans ce qui ressemble à une cérémonie païenne spontanée. Elle a enfin pu dire ce qui était impossible à dire. Alors que sa famille veut la consoler, Mme Venable, elle, devient explicitement folle et se coupe d’une réalité qu’elle refuse.Elle était, peut-être, trop bien dans un monde d’illusion où son fils était le dieu de ce monde et de ses représentations. Le docteur prend Catherine par la main et reviennent dans la maison.

Il m‘est quelquefois arrivé de me demander si tout cela n’était pas trop beau et véritablement crédible. Je dirais oui et non. Le scénario est un peu trop bien fait et les plans viennent avec un ordre merveilleux. Les dialogues, les détails, tout est trop beau et peut être trop théorique. Mis à part ce doute, on ne peut que être ébahi face à l’ambition et la beauté de ce film.

Bien sur tout le film culmine dans la scène finale qui est aussi un résumé, une résolution, un moment de terreur et de vérité. Car, nous le comprenons rapidement, malgré sa fragilité, Catherine est tourmenté par la vérité qu’elle porte sur Sebastian et sa mort. Personne ne voudra la croire. Elle a du mal à le croire elle aussi. Petit à petit, elle se sentira acculé de toute part. Les sœurs empêchent tout loisir, sa tante veut la lobotomiser, sa famille, bien faible, est prête à l’accepter pour une histoire de gros sous, le directeur de la clinique n’attend que cela pour avoir plus de fonds pour s’agrandir. Et le docteur Cukrowitz ? C’est celui qui tient le scalpel mais il aurait quelques intérêts lui aussi. Et pourtant, il attend. Est-ce par volonté de protéger cette patience avec qui il a développé des relations d’empathie ? Il a le soupçon de la vérité chez elle, comme il a le soupçon de la folie chez Mme Venable. Ou bien, tombe t il amoureux de sa beauté, de ses formes féminines, de son désir comme en témoigne leur baiser et la ressemblance probable du docteur avec Sebastian ?
 Avant de commencer la séance de vérité, Catherine et  le docteur parle ensemble sur ce sujet, on peut même comprendre la piqûre comme un envoi de sérum de vérité.  C’est aussi à ce moment que le docteur et Catherine s’embrasse amoureusement. Voici le vrai sérum de vérité. Une confiance et peut être même un amour au moment où celle-ci est de nouveau face à ses « persécuteurs ».
Mais que dit Catherine ? Sebastian, homosexuel conquérant, conscient de son « aura », de son charme et de la fascination qu’il produisait, l’utilisait pour séduire tout autour de lui pour la propre fin de sa jouissance personnelle.  Il utilisait les gens, mais soudain, cet été, les pauvres gens utilisés et charmés l’ont utilisé pour un rite païen. Le film ici est très ambitieux, il parle du phénomène du bouc émissaire comme celui du danger d’être adoré, de déclencher la violence sacrificielle. Celui qui se fera adoré, se fera mangé. N’est ce pas ce qui s’est passé non plus avec sa mère, nous comprenons rapidement qu’il n’y a pas d’amour mais un gros oedipe non résolu et une dévoration mutuelle marqué sous le sceau de l’utilisation narcissique. Car petit à petit, on devine Sebastian. Narcissique, beau, vaniteux et en même temps quelqu'un qui fait de son narcissisme une religion d’auto adoration qui le conduira à une mort logique et impossible. (Fin du livre le Parfum de Suskind.)
Cette vérité de la dévoration humaine et du bouc émissaire est un tabou moderne, que nous soyons des êtres religieux marqué par le sceau du sacrifice, du tabou et de la violence unanime dionysiaque. Le film ressemble plus à cette thèse qu’à une histoire vrai. Etant (piètre) girardien, je trouve que ce film inspiré d’une pièce de Tennesse Williams, lui-même inspiré par l’histoire de sa sœur, est incroyable d’inspiration et de vérité. Même si demeure en mois le doute de sa forme, que nous croyons trop rapidement à l’innocence de Catherine, que le folklore de la mise à mort soit un peu trop fumeux et esthétique, mais il y a là une réflexion puissante sur la folie, le narcissisme et cette religiosité humaine dont les psychiatres ressembleraient au gardien du temple .

A noter
Le mépris de Mme Venable, elle si haute et descendu des cieux
L’homosexualité de Sebastian,
La confusion de Catherine entre l’amour et l’utilisation d’autrui pour sa propre jouissance.
Les figures de la mort
Les fous de l’hôpital psychiatrique
Les premiers scènes, une lobotomie
Les oiseaux dans le ciel faisant une grande unité
Le maillot de bain de Liz
La lobotomie comme la guillotine
La montée vers l'autel de Cabeza del lobo
Cukrowitz / Mankiewicz

A lire absolument, le texte de Jean Christophe Goddard qui en plus de développer la réflexion girardienne sur ce film parle de l'activité de celui-ci en ce qui concerne la participation de Montgomery Clift  et Liz Taylor jouant leurs propres rôles dans celui de Sebastian et de Catherine. (Bouc-émissaire comme image de soi???) Sebastian étant l'acteur mythique américain dans tout son être. Celui qui se fait dévorer... Le cinéma comme communion liturgisée anthropophage par la "star". Le film révélerait la structure mythique du cinéma....... Passionnant.... La suite citant Lévinas et Derrida m'est encore inaccessible.... sorry...


Autre exemple napolitain...


mercredi 5 décembre 2012

Storytelling Salmon



Sujet difficile que celui de Christian Salmon. Le récit. Car il l’avoue en préambule, cela a toujours été partout, toujours, de toutes les manières. On ne cesse de se raconter des histoires, légendes, histoire officielle, mémoire, contes, publicité. Certains disent que toute science, toute religion n’est qu’un récit, le récit a toujours créé le sens, le sens a toujours été créé par du récit. Les reproches que l'on fait aux relativistes depuis la caverne de Platon jusqu'aux philosophes dits postmodernes actuels est que expliquer que notre représentation du monde est complètement subjective revient à dire qu'il n'y a pas de vérité. En face il y a les scientistes qui croient aux faits, qui ne perçoivent pas la différence de nature irréductible entre le réel et sa représentation.




Mais pourtant, Salmon s’engage et tente ce difficile voyage de la recherche de la réalité. Il décrit les récits modernes et la tendance au Storytelling, véritable marque déposée qui décrit l’ingénierie (surtout américaine) essayant de monopoliser nos attentions et nos consentement. Il analyse avec  percussion le marketing, le monde des marques, la communication d’entreprise et enfin la communication politique en faisant quelques embarquées dans la politique française. Dans une postface de 2008, Christian Salmon fait comprendre que les français se sont trop énervés sur le décryptage de la politique française à partir de son bouquin. Il appuie alors sur le terme de nouvel ordre narratif. Il dit en gros : je n’invente rien, l’humanité n’a rien inventé de nouveau mais il y a une complémentarité du monde moderne avec ses nouvelles histoires. Nous pouvons voir que nous vivons une nouvelle époque par la manière dont on nous raconte les histoires et comment on fabrique le consentement. 

Les lieux d’observation  de cette nouvelle narration et que Salmon visite ?
Le marketing, le management, la politique.
Dans ces trois domaines, raconter des histoires est un sacerdoce. Faire consentir les consommateurs, les salariés et les électeurs-citoyens. Les marketeurs, les théoriciens de la gestion et de la politique sont allés très loin dans la réflexion du besoin d’histoire et savoir comment remplacer le monde intérieur de la population, sa représentation du monde. Manipulation de la foule émotionnelle ? En partie, adaptation de la préfiguration de la pensée humaine au monde capitaliste, entrepreneurial, « impériale » américaine et mondialisé. Nous sommes tous touchés. Est-ce une invention ? Non, ce sont des vieilles recettes que Salmon compare aussi à la religion. L’exemple des marques et des dieux grecs est très parlant, la comparaison de la consommation capitaliste qui serait comme une consommation « catholique » aux symboles des Etats Unis.
Le management ? Comment faire concilier deux éléments contradictoires chez les salariés ? Autonomie et interdépendance. Un homme capable de changement perpétuel et pourtant soigné émotionnellement. Adaptable et individualiste. Tout le management actuel et les histoires tendent à adapter le salarié. Il ne s’agit plus de faire consommer et faire travailler mais de combler et « saturer les champs de production et d’échange symbolique ». La narration envahit toutes les dimensions de l’entreprise. Même la communication financière (Enron).
La politique ? En prenant l’exemple des USA, nous voyons la prépondérance des spin doctors, quelle histoire raconter aujourd’hui ? C’est la campagne présidentielle permanente, la pré-production du journal de 20h. La permanente recherche du consentement des citoyens sur une politique définie et de moins en moins claire.


Tout cela, est ce grave ? Salmon a un peu honte à la dire, mais on comprend que oui. Car si le récit fait partie intégrante de l’homme, il touche des points essentiels. Je l’ai déjà cité sur ce site. Je me souviendrai toujours d’un conférencier chrétien disant que la Bible est le seul conte qui soit vrai. Je fus choqué, mais il semblait dire ainsi que tout est conte, tout est consentement à une histoire mais il existe malgré tout une histoire vraie.
Ce que nous montre Salmon c’est l’éloignement, soit voulue soit subie, des histoires racontées avec toute recherche de vérité. Ce n’est pas un hasard que le sujet de Salmon se tourne rapidement vers les religions. Le rêve américain est plus qu’un système, c’est une religion dans lequel il y a bien plus qu’un territoire, une économie mais bien une communion de foi sur des valeurs, des mythes, des martyrs. Ce qui me choque aussi est l’abrutissement nécessaire à ce nouvel ordre narratif. Brouhaha, changement perpétuel, émotions. Le refus de l’attention à la réalité est au summum. Je pense à l’interview de Fumaroli. Il est aisé de voir combien le monde décrit par Salmon est loin de l’idéal de la rhétorique et de l’otium. C'est-à-dire d’une communication lente, claire, orientée vers la compréhension raisonnée de son argumentation par son interlocuteur. L’art de convaincre contre les techniques de consentement.  
Comment devenir libre et user de notre raison pour rencontrer l’histoire vraie celle qui nous parle de la réalité ?

Pour ceux qui sont intéressés, la fiche de scriptoblog existe
Après avoir lu ce livre, on ne regarde plus jamais hollywood de la même manière....
ceci est un bon exemple....


Quelques citations plus bas
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lundi 3 décembre 2012

La sainteté, quand Tresmontant et Girard se rencontrent

Il y a peu j'ai rencontré le site dédié à l’œuvre de Claude Tresmontant.
petit à petit, j'y ai découvert une pensée très originale  surtout dans sa volonté imperturbable et raisonnée de faire le lien entre sciences, foi et raison. Comme Girard part de l'infiniment intime pour venir au Christ, Tresmontant part de l'infiniment grand du Cosmos pour arriver au même point. Il y a une complémentarité fantastique que l'on peut retrouver dans la citation plus bas.  Il est pour moi, une initiation à la métaphysique que je développerai surement dans des notes futures.

Aujourd'hui je m'arrêterai à cette citation :

Le saint est l'homme normal

"Il existe un fétichisme intérieur, que les psychologues découvrent petit à petit dans la psychè humaine. C'est une déformation intérieure. En somme, semble-t-il, toute forme d'immaturité affective est fétichiste. Elle consiste en une fixation sur un objet qui n'est pas absolu, - car unique est l'Absolu, et il est transcendant.
"La découverte de la transcendance, et de l'Absolu comme transcendance, est une libération par rapport à divers types d'idolâtrie. Dès lors que l'on a vu et compris que l'Absolu n'est rien de ce qui est du monde, on est libéré de la servitude de toutes les idoles, intérieures et extérieures. On accède à la liberté et à l'âge adulte.
"Celui qui est libéré de la puérile idolâtrie de l'argent, de l'abominable idolâtrie de l'Etat ou de la Nation, de la captivité de l'eros, celui-là devient un homme, un homme libre, un homme adulte.
"En somme, on peut définir la sainteté des saints comme la liberté par rapport à toutes les formes d'idolâtrie. Dans cette perspective, et si cette analyse est exacte, le saint est l'homme normal, le seul normal et adulte, parce que le seul libre. Celui qui n'est pas saint est encore un être infantile, prisonnier d'une multitude d'idolâtries, de fétichismes, extérieurs ou intérieurs, visibles ou invisibles."
(Claude Tresmontant, in "Le Problème de la Révélation", Seuil 1969, pp. 197-198)

Texte original par sa définition de la sainteté. Il souhaite nous éviter de regarder la sainteté comme un petit miracle d'homme touché par une grâce impossible. Non, être saint, c'est accomplir son humanité par une liberté conçue comme attachement à Dieu et libéré de tous les autres attachement illusoires.

Je trouve dans cette pensée beaucoup de résonances avec celle de Girard. Par sa souffrance ontologique, l'homme cherche à être en imitant ceux qui selon lui se rapproche de ce qu'il croit qu'un homme doit être. L'homme va nécessairement adorer. Selon ce qu'il va adorer, selon sa foi, son comportement changera de tout en tout. Tout comportement indique une foi, une idolâtrie souvent. En cela, ils se rapprochent de cette phrase de Simone Weil que nous avons aperçue dans une note précédente.
« La droite tracée à la craie, c'est ce qu'on trace à la craie en pensant à une droite. De même un acte de vertu, c'est l'action qu'on accomplit en aimant Dieu.»
Ceci est une loi humaine confondante, Nous sommes libre de croire en tout ce que nous voulons, mais tout n'a pas les mêmes conséquences. Notre théologie personnelle nous implique. L'invitation de l'Eglise catholique doit nous être précieuse. Elle nous redit que la vérité s'est signalée. Que croire en elle fait de nous "des hommes normaux". Des hommes enfin libres.
Et ceux qui n'ont jamais entendu parler de jésus ? L'alliance noachique demeure, l'Esprit Saint souffle partout et la recherche de l'humanité touche tous les hommes.